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Je déteste toute forme de
célébration post-mortem. L'avalanche hypocrite est trop insupportable pour que
je me laisse emporter par le trémolo des violons. La traductrice et nouvelliste
Annie Saumont n’est plus. Je l’apprends en ouvrant Oxymoron fractal.
Je m'aperçois que depuis que je
propose les modestes chroniques sur les livres aucun auteur féminin n'a eu
droit à mes « faveurs ». Ne voyez là aucune intention d'ostracisme de
ma part à l'égard des frangines. J'adore lire les écrivaines. Elles ont, tatouée sur la pulpe des doigts,
la formule de secrets envoûtants.
Je laisserai de côté, évidemment,
les Yourcenar, Beauvoir, Duras, don j’ai beaucoup aimé l’après-midi de monsieur Andesmas. J'aime chez l’écrivaine le sens
inné de la surprise et cette façon particulière qu'elle a de vous faire croire
que vous avez du génie sans éprouver d'autre sentiment que celui de vous avoir
aidé à vous surpasser, même si vous êtes passablement idiot.
L'ami qui m'avait fait parvenir le recueil
« Le lait est un liquide blanc » s'était
donné la peine de le dédicacer comme suit : «
Même si on meurt bronzé, faut pas mourir idiot. » Il l'avait lu, aimé et
éprouvé l'envie immédiate de le faire tourner dans le désert fourmillant de mon
insularité.
En littérature, l'art de la nouvelle
nécessite beaucoup, beaucoup de talent, disent les spécialistes, même si Norman
Mailer, estime que la chose ne vaut pas tripette, comparée au roman… Cela ne s'apprend ni ne
s'improvise pas. L’art de la nouvelle c'est comme les grains de beauté : on naît
avec ou pas. Combien d'amateurs s'y sont cassé les dents, y compris monsieur
Mailer, dont le Caillou au paradis ne quitte pas le seuil de l'introspection ? Cela ne fut point le cas de Madame Annie Saumont dont l’art de la
délicatesse n’a d’égal que la formidable brutalité de certaines séquences avec
lesquelles elle nous essuie le museau. Si vous n'avez pas lu de cette grande dame
le moindre livre, il n'est pas trop tard pour se laisser aller à la découverte
d'un esprit d'une rare et belle subtilité.
Parmi la quinzaine de nouvelles
(toutes excellentes) du recueil « Le lait
est un liquide blanc », Iéna est un tout immarcescible : une bataille
napoléonienne, le nom d'une station du métro parisien et une rupture amoureuse.
Un peu plus de trois petites pages pour un voyage d'une extraordinaire
simplicité.
C'est qu'elle a un sacré volume de
jeu, la dame, pour employer une expression très tendance chez les commentateurs
sportifs. Voici ce qu'elle écrit. Ne vous fiez pas à la ponctuation, c'est la
sienne et c'est très bien ainsi : « les
déchirés les transpercés les fracassés les éclatés. Maudits, écrasés, mutilés,
rompus, éviscérés. A Iéna. Ceux qui n'ont pas su échapper à la conscription,
qu'on a débusqués hors de leurs cachettes, ceux qui se sont vendus pour une
maigre solde. Ceux qui ont revêtu l'uniforme par simple désir de gloire. Par
jeu. Par bravade. Fiers de servir un homme qui se prend pour un dieu. Ceux qui
ont accusé le Destin quand déjà les balles leur traversaient le torse, quand la
baïonnette leur ouvrait le ventre, quand un boulet leur arrachait les couilles.
»
Pour son talent, pour sa finesse et
pour sa force, lire ce livre de nouvelles, plein de bonnes nouvelles, est la
meilleure manière de célébrer la femme non pas une fois l’an mais tous les
jours de l’année.
Sous l’Casque
d’Erby
Bonjour aux caillardeuses et aux caillouteux. Le bon voyage à la Dame au royaume des étoiles.
RépondreSupprimerSalut ô grand Rodo, découvreur d'écrits et chasseur de nuages, marin des pages blanches et phare du bout de son monde, débiteur d'infini à l'étale de basse-mer, héraut du seigneur des vents du large, lecteur du grenier du monde....
RépondreSupprimerEt que depuis la dunette du Grand Chasse-Foudre, la Dame se penche sur notre Terre et ses océans d'approximations, pour y dispenser sa sagesse.
"Le Grand Chasse-Foudre est parfois considéré comme une espèce de Paradis à l'usage des bons matelots qui y ont tout à souhait;
c'est la contrepartie du Voltigeur hollandais." (légendes de marins)
« Quand vous voyez dans le ciel, après un coup de vent-z-à orage, ç’te grande banderole, bleue, rouge, jaune, verte, violette, blanche, que sais-je encore ? vous croyez, mes garçons, que c’est l’arc-en-ciel, comme on dit partout ; eh bien ! non, c’est la flamme du Grand Chasse-Foudre. Elle est de toutes les couleurs quelconques, parce que le navire est de toutes les nations. Le bruit que vous entendez dans les poulies, quand il vente la peau du diable et que nous courons les huniers au bas ris, c’est le son aigu du sifflet du maître. Le tapage qui a l’air de se faire là-haut, pendant les tempêtes, et que vous autres campagnards vous appelez le tonnerre, c’est pas autre chose que les paroles de l’officier de quart, quand il commande une manœuvre dans son porte-voix. »
Salut à toi, Jean-Claude, ô écumeur de galaxies lointaines ! Je m'incline humblement devant ce magnifique et fourmillant commentaire et t'envoie à travers ciel le retour de compliment.
SupprimerPour les célébrations post-mortem tu as raison, Brassens le disaient bien dans Le Temps Passé : les morts sont tous de braves types...
RépondreSupprimerBaudelaire par Ferré, cadeau du matin. Merci.
¸¸.•*¨*• ☆
J'ai pensé de Ferré-Baudelaire allaient très bien avec la Dame.
SupprimerBises.
Tu évoques, Rodolphe, "l'ami qui t'a fait parvenir le lait est un liquide blanc"... Je ne sais plus du tout si je suis cet ami et même lequel de nous deux a fait connaître à l'autre ce magnifique recueil... Toujours-est-il que, comme toi, j'apprécie beaucoup la plume d'Annie Saumont... dont tu m'apprends la mort, hélas.
RépondreSupprimerTout à fait Rémi, cet ami dont je parle c'est bien toi. Mais ça remonte à une bonne dizaine d'années.
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