mardi 24 janvier 2017

« Je n'irai pas »

Par Rémi Begouen

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On oublie très souvent qu'août 1914 est la date d'entrée de notre modernité sanglante, celle de la hideuse guerre industrielle, colossale, mondiale... qui depuis plus d'un siècle continue de surgir de nos jours n'importe quand et où.
En septembre 1916, un « poilu » blessé écrit : « La guerre dure depuis bientôt vingt-six mois, affreuse, impitoyable sur tous les fronts. Les morts se chiffrent par millions, les mutilés sont innombrables, les ruines inconcevables. Ce sont les mères qui pleurent leur fils, les veuves leur époux, et les orphelins leur père. Ce sont ceux dont le fils, le mari, le soutien est encore sur le front en train de se battre qui sont, depuis deux ans, dans des angoisses terribles : reviendra-t-il ? Peut-être est-il mort en ce moment, se demandent-ils sans cesse. Ce sont les soldats sur le front, loin de ceux qu'ils aiment, endurant les plus cruelles privations, passant des jours sans manger, des nuits sans dormir, couchant sur la terre à la belle étoile, passant les hivers dans l'eau, dans la boue, dans la glace, et perdant leur santé s'ils ne perdent pas leur vie ; ne sachant jamais à l'aube de chaque nouvelle journée si elle ne sera pas pour eux la dernière. Ils sont fatigués, dégoûtés de cette guerre interminable, plus barbare et plus impitoyable que toutes celles que l'histoire ait pu enregistrer jusqu'ici. »  
Ces lignes sont extraites de la fin des Mémoires d'un insoumis - « Je n'irai pas ! », de l'anarchiste Eugène Cotte (1889-1976), document inédit depuis un siècle, récemment publié grâce aux éditions « La ville brûle » en juin 2016.
Ce récit est foisonnant de vitalité, de vérité, celle d'un humble fils de pauvre paysan alcoolique du Loiret, et de son épouse analphabète et bigote. Il a une sœur qu'il soutiendra beaucoup, fille-mère à une salle époque. Le jeune Eugène sera un brillant élève de primaire catholique, d'abord très docile à l'Église, puis s'émancipant tôt grâce à un seul livre : Les Misérables, de Victor Hugo... : bien assez pour en devenir anticlérical, avant de devenir anarchiste !...
La beauté de l'écriture de Eugène Cotte est dans sa simplicité à beaucoup dire des mœurs de cette France rurale des années 1900, encore si archaïque, mais parcourue d'idées, via des journaux d'idées politiques socialistes-anarchistes (encore peu distinctes). Ainsi se forme avec appétit ce jeune rural très « éveillé » qui sera quarante ans travailleur manuel (ouvrier agricole, terrassier...) et de ces vrais intellectuels, autodidactes au cœur tendre qui ont les pieds dans la boue.
Eugène est un gaillard habitué à travailler dur 10 à 12 heures par jour, dans les champs, sur les routes ou chantiers. Fuyant la conscription en août 1910, il travaille en Suisse – il en fait magnifique narration – mais se fait arrêter lors d'une visite à Lyon. Sa volonté et sa constitution très solides lui permettront l'exploit d'une incroyable grève de la faim clandestine de 130 jours, pour simuler une maladie et se faire réformer. L'insoumis croit être débarrassé de l'armée mais la guerre éclate début août 1914 et même les réformés sont mobilisés, deux mois après les autres... : cette fois, par solidarité avec sa classe d'âge, Eugène accepte à contrecœur l'armée. L'antimilitariste se bat, très courageusement, deux ans. Jusqu'à cette première hospitalisation qui lui donne l'occasion d'écrire ce texte foisonnant. Celui d'un esprit libre, comme son aîné Élisée Reclus grand observateur du terrain géographique et social. L'un et l'autre abordent des questions toujours d'actualité sur l'individu, la société, l'éducation, la révolution libertaire...

8 commentaires:

  1. Le bonjour aux caillardeuses et aux caillouteux. Pour accompagner la chronique de Rémi, chanson de Craonne en vidéo du jour.

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    1. Merci l'ami d'avoir publié cette note de lecture...
      Depuis un mois que je suis sorti de l'hôpital je reste en convalescence douloureuse et donc suis devenu boulimique de bonnes lectures, dont découvertes comme ces mémoires d'Eugène Cotte !
      Peut-être aurai-je l'occasion de proposer d'autres notes de lectures à "Cailloux..."

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  2. Très intéressant, tu nous donnes envie de le lire pour en savoir plus.

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  3. Et que vivent les vivants... mon grand-père me disait "Quand j'en suis arrivé à 52 jours de la quille (donc presque libérable), j'en ai pris en plus pour 52 mois !" et dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1914, affecté à un régiment de chasseurs à cheval, il s'est retrouvé aux avant-postes quelque part en Lorraine avant même la déclaration de guerre officielle. Son régiment était en casernements à Sampigny, près de Commercy. L'un de ses voisins les plus illustres était le président de la république de l'époque, Raymond Poincaré, dont la maison devenue aujourd'hui musée était à quelques centaines de mètres de la caserne.

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  4. L'anar franco-grec YANNIS YOULOUNTAS continue son action en Grèce (merci de rétablir le nom de son blog dans la liste de droite :
    EXTRAIT :
    (…) Depuis des mois s’installe une confusion dans la « solidarité avec la Grèce » entre deux formes complètement différentes : un mélange de genres entre les collectifs solidaires totalement indépendants et autogérés, et des fondations humanitaires créées et soutenues par nos pires ennemis.
    L’exemple le plus flagrant (et insistant sur nos listes) est celui de CODEGAZ, une association humanitaire directement reliée à GDF-SUEZ et soutenue par elle, qui lui sert régulièrement pour se donner une apparence de respectabilité et de générosité.(...)

    http://blogyy.net/2017/01/12/confusion-solidarite-grece-jacques-leleu-codegaz/

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    1. Merci Rémi pour Youlountas. M'en vais de suite le remettre à sa place.
      En tout cas, je suis heureux de constater que tu n'as plus de "problèmes de robot" pour commenter. Mystères et Miracles de la Toile (cirée) ! C'est un peu comme les voies du seigneur : impénétrables !

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    2. Le blog YY de Youlountas n'est toujours pas dans la colonne de droite...
      Soit tu as oublié de faire le nécessaire, soit la manœuvre a échoué ?

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    3. Ni l'un ni l'autre Rémi, j'avais tout simplement autre chose à faire. C'est fait. La bonne continuation à toi sous d'autres cieux.

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