J'ai beaucoup lu
mais peu de romans. Peut-être une cent-cinquantaine peu connus plus une
cinquantaine célèbres. Et presque tout Albert Camus. J'ai dû lire « l'Étranger » de Camus vers 1955
à mes 16 ans. Si je m'en souviens encore 60 ans plus tard, c'est que ce drame
absurde me pénétra, sûrement du seul fait de sa superbe langue singulière. Je
lis aujourd'hui « Meursault, la contre-enquête » de Kamel Daoud, périlleuse
entreprise d'oser revisiter ce « chef d'œuvre camusien » :
réussie du seul fait d'une autre superbe langue singulière. Voilà donc deux
versions, solaires et sobres, de la même langue française d'Algérie, à deux
époques singulières et très différentes. Ce fut pour Camus, en 1942, celle de
plus d'un siècle de Colonie. Pour Daoud, en 2013, celle de plus d'un
demi-siècle d'Indépendance...
Entre ces deux
dates, j'ai connu et aimé cette souffrante Algérie, à la fin de la sale guerre
que j'étais « appelé » à faire au peuple Algérien (59-62) en guerre
de Libération Nationale. Je témoigne de l'importance de ce vécu dans mon essai « Le
Piège » (voir note finale 2). Et, je sus, qu'à sa façon, l'Algérois Camus
fut profondément piégé de cette guerre.
Puis, maintenant, je lis ces lignes de Daoud (p.99) : (...) « Tu comprends
mieux maintenant, n'est-ce pas ? Ce n'est pas une banale histoire de
pardon ou de vengeance, c'est une malédiction, un
piège ». Ce court roman (153 pages) ne se résume pas, sinon par ces deux
phrases-clefs. Mais c'est quelques pages avant qu'intervient le rebondissement
principal du récit. Dont, ici, je ne dirai rien sinon qu'il se situe en
1962 : l'année de l'Indépendance si mouvementée, entre ces temps troublés
d'être si bloqués, celui de « l'Étranger » et celui d'aujourd'hui...
*
Il serait aussi vain
de prendre au mot le terme de « contre-enquête » du titre, que de
soupeser la vraisemblance ou pas du récit ou, à plus forte raison de choisir
qui, de Camus ou Daoud écrit « le mieux » !. Dire simplement que
Daoud (et tant d'autres écrivains algériens) a une subtile maîtrise de la
langue française. Audacieuse, magnifique, imprégnée bien naturellement - et
avec humour - du riche environnement
socioculturel arabe... là où est son sujet. Mais, au fait, quel est le sujet du
livre ? Il est « l'Arabe » anonyme, victime du sieur Meursault
du roman de Camus. Bien plus, ce même Arabe, cette fois enfin nommé, Moussa.
Mais surtout son jeune frère Haroun qui tente ici sa « contre-enquête »...
Et encore leur mère, « la vieille », personnage si extraordinaire
qu'il en devient principal, jusque dans son mutisme stoïque : symbole de
l'Algérie si souffrante, si digne et secrètement si farouche... Et encore ?
Oui ! : l'étrange et belle Meriem, bref...l'étrange étranger !:
« Tu comprends
mieux maintenant, n'est-ce pas ? » Indistinctement ou pas, Daoud
interpelle ainsi et la langue française et Camus ; et Meursault et sa
victime ; et le lecteur de Camus et le sien : l'étranger... Se dédoublant
subtilement, il s'interpelle parfois lui-même écrivant son impossible
contre-enquête dans un café minable, face à Haroun, ou même à toi son
lecteur-confident, qu'il interroge aussi !... Cette contre-enquête est
donc tout sauf un polar, pas même sa parodie. Mais un « blues algérien»
multiforme et philosophe. Une fresque poignante, tant poétique que politique.
Tant par rapport à la France coloniale d'hier que par rapport à l'Algérie
étatique d'aujourd'hui... voire intense
reflet de la tragique épopée de l'humanité entière. Sophocle revisité 26
siècles plus tard !
*
Note 1 – J'ai lu ce
livre sur seule recommandation d'un ami comme moi membre de 4acg, avant d'en savoir plus sur l'auteur et les actuels succès de son livre,
qui entraînent hélas bien des menaces sur le courageux Daoud (révélés en fin du
2°lien)...
Note 2 – « Le
Piège » est le titre du livre inspiré de mes séjours en Algérie (entre
1959 et 1979). Je l'ai commencé dès 1960, abandonné 32 ans, repris en 1994 pour
ma fille aînée, complété et corrigé de mini-réédition en mini-réédition,
jusqu'à sa forme définitive actuelle, datée de 2011 (140 pages format A5). Pour
l'obtenir, merci de me contacter : remi.begouen@free.fr
Sous l'casque d'Erby
Bonjour caillardeuses et caillardeux. Voilà un dimanche bien studieux et qui s'en plaindrait. Pour ma part, je finis la lecture de "Qui est Charlie" d'Emmanuel Todd, de façon à le chroniquer en connaissance de cause, ce qui, me semble-t-il, n'est pas le cas de tous ceux qui cherchent à brûler et le livre et l'auteur !...
RépondreSupprimerLe bon dimanche à toutes et à tous.
Le bon dimanche à toutes et à tous. bis repetita...
RépondreSupprimerMerci lediazec de nous donner dès ce dimanche à lire cette note de lecture, que j'ai eu grand plaisir à écrire après avoir eu immense plaisir à lire l'ouvrage... suivi d'inquiétude à propos d'odieuses menaces qui s'abattent sur Daoud (voir lien)...
Merci Erby d'illustrer (à ta façon décalée!) le thème de la mort, pile aujourd'hui avec ce "Moussa-Meursault, le piège). Et vive Brassens!