dimanche 10 mai 2015

Moussa-Meursault, le piège...



J'ai beaucoup lu mais peu de romans. Peut-être une cent-cinquantaine peu connus plus une cinquantaine célèbres. Et presque tout Albert Camus. J'ai dû lire « l'Étranger » de Camus vers 1955 à mes 16 ans. Si je m'en souviens encore 60 ans plus tard, c'est que ce drame absurde me pénétra, sûrement du seul fait de sa superbe langue singulière. Je lis aujourd'hui « Meursault, la contre-enquête » de Kamel Daoud, périlleuse entreprise d'oser revisiter ce « chef d'œuvre camusien » : réussie du seul fait d'une autre superbe langue singulière. Voilà donc deux versions, solaires et sobres, de la même langue française d'Algérie, à deux époques singulières et très différentes. Ce fut pour Camus, en 1942, celle de plus d'un siècle de Colonie. Pour Daoud, en 2013, celle de plus d'un demi-siècle d'Indépendance...


Entre ces deux dates, j'ai connu et aimé cette souffrante Algérie, à la fin de la sale guerre que j'étais « appelé » à faire au peuple Algérien (59-62) en guerre de Libération Nationale. Je témoigne de l'importance de ce vécu dans mon essai « Le Piège » (voir note finale 2). Et, je sus, qu'à sa façon, l'Algérois Camus fut profondément piégé de cette guerre. Puis, maintenant, je lis ces lignes de Daoud (p.99) : (...) « Tu comprends mieux maintenant, n'est-ce pas ? Ce n'est pas une banale histoire de pardon ou de vengeance, c'est une malédiction, un piège ». Ce court roman (153 pages) ne se résume pas, sinon par ces deux phrases-clefs. Mais c'est quelques pages avant qu'intervient le rebondissement principal du récit. Dont, ici, je ne dirai rien sinon qu'il se situe en 1962 : l'année de l'Indépendance si mouvementée, entre ces temps troublés d'être si bloqués, celui de « l'Étranger » et celui d'aujourd'hui...



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Il serait aussi vain de prendre au mot le terme de « contre-enquête » du titre, que de soupeser la vraisemblance ou pas du récit ou, à plus forte raison de choisir qui, de Camus ou Daoud écrit « le mieux » !. Dire simplement que Daoud (et tant d'autres écrivains algériens) a une subtile maîtrise de la langue française. Audacieuse, magnifique, imprégnée bien naturellement - et avec humour -  du riche environnement socioculturel arabe... là où est son sujet. Mais, au fait, quel est le sujet du livre ? Il est « l'Arabe » anonyme, victime du sieur Meursault du roman de Camus. Bien plus, ce même Arabe, cette fois enfin nommé, Moussa. Mais surtout son jeune frère Haroun qui tente ici sa « contre-enquête »... Et encore leur mère, « la vieille », personnage si extraordinaire qu'il en devient principal, jusque dans son mutisme stoïque : symbole de l'Algérie si souffrante, si digne et secrètement si farouche... Et encore ? Oui ! : l'étrange et belle Meriem, bref...l'étrange étranger !:



« Tu comprends mieux maintenant, n'est-ce pas ? » Indistinctement ou pas, Daoud interpelle ainsi et la langue française et Camus ; et Meursault et sa victime ; et le lecteur de Camus et le sien : l'étranger... Se dédoublant subtilement, il s'interpelle parfois lui-même écrivant son impossible contre-enquête dans un café minable, face à Haroun, ou même à toi son lecteur-confident, qu'il interroge aussi !... Cette contre-enquête est donc tout sauf un polar, pas même sa parodie. Mais un « blues algérien» multiforme et philosophe. Une fresque poignante, tant poétique que politique. Tant par rapport à la France coloniale d'hier que par rapport à l'Algérie étatique d'aujourd'hui... voire  intense reflet de la tragique épopée de l'humanité entière. Sophocle revisité 26 siècles plus tard !



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Note 1 – J'ai lu ce livre sur seule recommandation d'un ami comme moi membre de 4acg, avant d'en savoir plus sur l'auteur et les actuels succès de son livre, qui entraînent hélas bien des menaces sur le courageux Daoud (révélés en fin du 2°lien)...

Note 2 – « Le Piège » est le titre du livre inspiré de mes séjours en Algérie (entre 1959 et 1979). Je l'ai commencé dès 1960, abandonné 32 ans, repris en 1994 pour ma fille aînée, complété et corrigé de mini-réédition en mini-réédition, jusqu'à sa forme définitive actuelle, datée de 2011 (140 pages format A5). Pour l'obtenir, merci de me contacter : remi.begouen@free.fr



Sous l'casque d'Erby




2 commentaires:

  1. Bonjour caillardeuses et caillardeux. Voilà un dimanche bien studieux et qui s'en plaindrait. Pour ma part, je finis la lecture de "Qui est Charlie" d'Emmanuel Todd, de façon à le chroniquer en connaissance de cause, ce qui, me semble-t-il, n'est pas le cas de tous ceux qui cherchent à brûler et le livre et l'auteur !...
    Le bon dimanche à toutes et à tous.

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  2. Le bon dimanche à toutes et à tous. bis repetita...
    Merci lediazec de nous donner dès ce dimanche à lire cette note de lecture, que j'ai eu grand plaisir à écrire après avoir eu immense plaisir à lire l'ouvrage... suivi d'inquiétude à propos d'odieuses menaces qui s'abattent sur Daoud (voir lien)...
    Merci Erby d'illustrer (à ta façon décalée!) le thème de la mort, pile aujourd'hui avec ce "Moussa-Meursault, le piège). Et vive Brassens!

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