lundi 27 avril 2015

Du Mont Ararat à la Tour Eiffel


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Le 5 septembre 1914, Joffre informe le gouvernement français (déjà réfugié à Bordeaux) « la lutte qui va s'engager […] peut aussi avoir pour le pays, en cas d'échec, les conséquences les plus graves. »... Imaginons que la Bataille de la Marne ait mal tourné, à l'avantage « des boches » (selon le vocabulaire raciste en vigueur dans la France d'il y a un siècle) : en 1915 l'Allemagne impose sa paix après avoir conquis Paris et l'Île de France, sur une « frontière de la Germanie historique » qui va en gros de la Normandie à la Bourgogne (incluses). Et, amputée d'un bon tiers de sa superficie et de la moitié de sa population, ce qui reste de la France survit avec Lyon comme capitale !...

Ce mauvais rêve n'est là que pour illustrer un peu l'émotion légitime des Arméniens face à leur sordide réalité, centenaire aujourd'hui : le génocide turc (toujours nié à Ankara) du peuple arménien de 1915-23, mené au nom de la « Turquie Historique » !... Rappel : environ 1,2 million de civils arméniens furent massacrés (soit les 2/3 du peuple arménien) dans le premier génocide du 20°siècle. Et l'actuelle Arménie n'existe (mal) que sur le tiers, environ, de son territoire historique : c'est bien pire encore que dans mon mauvais rêve ! Et l'une des différences est que, symbole de l'Arménie, le gigantesque Mont Ararat (5.137m., où serait arrivé l'Arche de Noé il y a 4.800 ans...), est situé en Turquie, mais reste visible d'Erevan... (cependant que notre modeste Tour Eiffel est, elle, invisible de Lyon... et son sommet n'est que demeure d'antennes hertziennes ! ).

*
Arrêtons là ces comparaisons scabreuses d'entre Arménie et France d'il y a un siècle. Le peuple Arménien a, comme tant d'autres, bien des spécificités. Dont celle d'une ancienne histoire (3000 ans?) dont le mythe fondateur est Noé sur le Mont Ararat, soit !. Son « Église nationale chrétienne » date du 1°siècle ap.JC... soit !. Mais beaucoup d'Arméniens (en Turquie) sont devenus musulmans. Mais beaucoup de chrétiens (là comme ailleurs!) sont de fait agnostiques ou athées. Mais les aléas de l'histoire des Empires Ottoman, Perse et Russe ont écartelé depuis des siècles son territoire. Mais il n'y a pas dans le drame du génocide arménien (ni aucun autre) « les bons et les méchants » mais sordide enchaînement de rivalités, ici turco-russes manipulant « fidèles » musulmans et chrétiens ! : façon habituelle de dévier la lutte de classes opprimés/oppresseurs en luttes nationales-religieuses...

Dans le cadre d'un billet je ne saurais aller plus loin, voir ici et . Il m'a semblé plus opportun de suivre le conseil d'Aimé Césaire : « La voie la plus courte pour aller vers l'avenir passe toujours par  l'approfondissement du passé ». D'éclairer de « coups d'œil » le contexte mondial de ce génocide parmi cent autres (Amérindiens notamment). Et finir par la question de « l'État-Nation », si souvent lié à des guerres de religions...

COUP D'ŒIL de GÉO-HISTOIRE

Le fait est que « depuis toujours » existent de très grands mouvements migratoires de tribus à la recherche de vie prospère et pacifique. Populations nomades, semi-nomades ou devenant sédentaires, ces tribus antiques se sont, via mille péripéties, plus ou moins fédérées puis fondues en peuples ou en nations. Parfois fixés sur un territoire précis (basque, grec, nilotique ou mésopotamien, perse ou indien, chinois ou japonais, arctique ou forestier, etc.). Parfois semi-nomades sur vaste zone précise (le Sahel des Peuls, le Sahara des Touaregs, l'Asie Centrale des Turcs, Mongols ou Sibériens, les grandes plaines d'Amérique, les archipels des Caraïbes ou du Pacifique, etc.). Et parfois grands nomades (Bédouins arabes commerçants entre oasis, Tsiganes-Rroms artisans et artistes venus d'Indus et arrivés au-delà du Danube, jusqu'à l'Irlande ou l'Andalousie, etc.) ...

Pendant bien des millénaires, au grée des ambitions et des circonstances, se sont constitués au sein de ces migrations si diverses, parfois d'éphémères fortunes de pilleurs (Huns, Vandales,Vikings, Mongols...) ou parfois de puissants Empires de grande longévité, chinoise, babylonienne, pharaonique, perse, grecque puis romaine, aztèque et maya, etc., tous très savants, riches... et souvent aussi féroces que les pilleurs sur leurs peuples soumis (esclavages...) ou à soumettre (massacres...).

Récemment (1 350 ans quand même...) commence la géo-histoire aventureuse moderne, en 3 étapes :
*1- Fulgurante conquête arabe dès la naissance de l'Islam : en 2 à 3 siècles, de l'Inde, Indonésie à l'Espagne, plus Balkans, Europe et Asie Centrale, Afrique du Nord et Noire, etc. : création de califats, sultanats ou empires florissants, dont chez des peuples convertis (Turcs, Perses, Berbères...).
*2- Bâtis sur les ruines des Empires Grec et Romain, ceux des Chrétiens d'Orient et d'Occident sont bousculés par la perte du berceau palestinien chrétien : si les Croisades échouent militairement, elles entraînent la sortie du Moyen-Âge (Renaissance) grâce au commerce culturel de ces califats (algèbre, traductions du savoir grec, commerces de luxe, du papier et de la boussole chinoises...).
*3- Contournant le contrôle arabe des routes de la soie et des Indes, Colomb découvre l'Amérique : départ du capitalisme occidental : banque et commerce, science et Révolution Industrielle, colonies et naissance des USA et de son hégémonie, désirs et tentatives de révolutions prolétariennes, dans les premiers bastions industriels et partout maintenant que le capitalisme est partout...

COUP D'ŒIL sur les RELIGIONS

Le fait est que « depuis toujours » existent de très grands mouvements religieux, dans la moindre tribu ou le plus grand Empire. Destinés en principe a « expliquer le monde » et en fait à soumettre l'humble travailleur au chef. Chef ?: simple chaman, grand prêtre ou prophète, comme simple guerrier, grand prince ou empereur... Soit, en résumé, la sainte « alliance du sabre et du goupillon ».
De bonnes âmes serinent que la religion est du domaine privé, à respecter, et que le domaine public est « laïc ». Mais, de fait, au même titre que n'importe quelle autre activité sociale (culturelle, sportive, corporatiste...), « la communauté des fidèles » est une réalité publique, donc politique. Dans le vrai sens du mot politique : l'organisation de la vie de la cité. Ne serait-ce qu'en simple électeur, il y a des motivations religieuses qui peuvent faire voter différemment de bons copains engagés du même côté, pourtant, de la barrière de classe... Et, à plus forte raison, de puissants États, dits démocratiques et laïcs, peuvent s'allier ou se combattre en discrète raison d'entente ou conflit religieux !

Par exemple, les fondamentalistes protestants du «WASP » US sont favorables aux juifs d'Israël et cela influence beaucoup la prétention de Tel-Aviv de diriger Washington dans ses aventures au Moyen-Orient. Lequel, indépendamment des protestants et des juifs, il a déjà ses propres fondamentalistes tant chrétiens que musulmans : outre les rivalités d'entre eux deux, la minorité chrétienne a elle-même ses rivalités internes et la majorité musulmane a bien d'autres courants radicaux tant au sein des sunnites que des chiites si opposés... Dans cet « Orient compliqué », les religions sont de grands prétextes à folles mobilisations guerrières, facilement manipulables par de cyniques pouvoirs d'États... qui éloignent d'eux le spectre de puissantes Révolutions socio-politiques contre eux !

COUP D'ŒIL sur PRÉSENT et AVENIR

Qu'un peuple ait plus ou moins conscience d'avoir « vocation nationale » de par son territoire, sa langue, ses mœurs et son histoire est une chose. Déjà compliquée car il peut y avoir mœurs nomades (sans terroir précis), langue commune à divers peuples voisins, cohabitation de religions... Mais beaucoup de peuples (Kurde, Touareg, Tibétain, Papou et n. autres « peuples premiers ») n'ont pas d'État, voire un pseudo État (Palestine) et/ou sont écartelés entre différents États aux frontières aberrantes (dues aux conquêtes) et réputées intangibles de part la Charte de l'ONU !
Ce club d'États-Nations (succédant à la SDN d'après 1°guerre mondiale), né du vainqueur américain de la 2°guerre mondiale, a pour but chimérique de figer l'avenir révolutionnaire de l'humanité par des États vassaux (faisant « l'opinion mondiale »!). Et pour vrai but (atteint) de détruire l'URSS, seul concurrent des USA, en la caricaturant de péril rouge contre la liberté, vaste blague... : il ne s'est jamais agi que de rivalité de zones d'influence pour la libre circulation non des hommes, mais des capitaux : business first... Depuis la chute de l'URSS se crée le péril vert par manipulations de terroristes-fous-de-Dieu, vaste blague. Car seul le danger de révolution est réel pour le capitalisme d'aujourd'hui, en bout de course à épuiser la Planète. Il cache sa férocité derrière le paravent État-Nation, hypocrite « luxe démocratique » inapplicable aux pays pauvres - c'est à dire pillés par les pays riches. Leur péril rouge est notre Révolution Sociale, multiforme, en cours et à venir... sans plus jamais de génocides ni même de classes sociales, voire d'États-Nations et religions...


Sous l'casque d'Erby



14 commentaires:

  1. Tiens, le premier commentaire n'est pas de lediazec !... Aurait-il déjà disparu pour X temps ? on verra...
    En tout cas, merci l'ami, d'avoir pris le temps de bien mettre en ligne mon longuet billet...

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  2. Bonjour caillardeuses et caillardeux. Un peu et même pas mal à la bourre en ce jour.
    Au fond, peu de pays on reconnu la réalité du génocide arménien en désignant la Turquie en tant que coupable : vingt, vingt-cinq à tout casser. Parmi ces pays je cite l'Uruguay en 1965. Si d'autres pays ou parlements ont suivi depuis, je note le vote unanime, pas une voix ne manquant à l'appel, du parlement catalan en Espagne, ce qui n'a pas été le cas partout. Je note aussi qu'à l'heure du centenaire de cette date funeste, pour des raisons stratégiques évidentes, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, Israël et beaucoup d'autres gardent un silence qui fait mal aux esgourdes !
    Cela étant, les faits sont têtus : l'oubli n'existe pas ! Quant à la Turquie, reconnaître le génocide, hormis le fait de retrouver son honneur, c'est devoir rendre une partie de ses terres à l'Arménie, comme le Mont Ararat, plus le casse-tête juridique des indemnités à verser aux descendants des familles égorgées !...

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  3. Sans commentaire : https://rannemarie.wordpress.com/2015/04/24/refuser-une-minute-de-silence-au-genocide-armenien-lamentable/

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    1. @raannemari - il doit y avoir erreur je ne sais où : en copiant-collant ton https au moteur de recherche on revient sur tes deux lignes de commentaire ci-dessus. Et je n'ai rien trouvé sur ton blog sous ce libellé...

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    2. Tiens, c'est curieux ! Je n'ai aucun problème pour accéder à la page de rannemarie avec le lien qu'elle a donné, qui donne accès à cinq autres liens du journal La Libre Belgique et une vidéo (uniquement visible sur Youtube) sur le sujet du génocide arménien.

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  4. .../...On vit on mange et puis on meurt
    Vous n' trouvez pas que c'est charmant
    Et qu' ça suffit à not' bonheur
    Et à tous nos emmerdements.../..."

    ben tiens, qu'est ce qui m'a pris de citer le Léo du 5 à 7
    va savoir,
    camarade,
    va savoir.

    Quand la bise fut venue!
    ;-)

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  5. Eh ! Ils ont une certaine logique, "les Occidentaux" : comme ils sont tous auteurs de génocides, ils refusent un précédent...... la reconnaissance de l'un impliquerait la reconnaissance d'autres qu'ils préfèrent voir oubliés.

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    1. Je suis pas sûr que le concept "les Occidentaux" soit bien choisi : d'une part ils ne sont pas si unis que tu sembles le croire justement sur le cas de l'Arménie... et d'autre part, SURTOUT, ils ne sont pas les seuls négationnistes !
      C'est, entre autres, le cas de la Turquie pour l'Arménie, des Chinois pour le Tibet, des Khmers Rouges pour le Cambodge, des Soviétiques pour de nombreux peuples Polonais, Tatars, Tchétchènes, Sibériens (massacres et déportations de masse sinon génocides... ce qui ne s'est vraiment appliqué, par Staline, qu'au noyau des bolcheviques de 1917). Etc. ...

      Mais, d'accord, "il y a une certaine logique" des PUISSANTS en général, occidentaux ou pas, à refuser de créer un précédent...

      Et ISRAËL et son fan-club de supporters internationaux en profitent pour propager l'idée que LA SHOAH serait le SEUL vrai génocide... justifiant (par reconnaissance de la faute) l'existence du sionisme en conquête de la Palestine,"mot à éradiquer"...
      (rappel : le sionisme fut créé vers 1880 et "le foyer juif en Palestine" démarra vers 1905!)

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  6. En marge du sujet, je découvre une analyse assez fouillée sur la dérive autoritaire de la Turquie actuelle, si importante dans la région :
    http://www.alterinfo.net/Les-causes-de-la-derive-autoritaire-en-Turquie-Ni-religieuses-ni-culturelles_a113338.html

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  7. Et tout à fait hors sujet, mais parce que cela existe enfin, ressurgi de mes archives bordéliques...
    A la rubrique "presse écrite" de mon site photo Phoésie 3, enfin un classement chronologique de coupures de presse concernant mes expo-photo, etc. !

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  8. http://www.oulala.info/2015/04/les-genocides-occidentaux-dans-lhistoire/

    Dans ce long article très documenté, l'auteur, Chitour, relativise bien le génocide arménien et écrit vers la fin : (…) « Les massacres de masses des Arméniens, n’ont pas jailli du néant, ils sont la conséquence des Nations occidentales qui ont donné l’illusion à l’Arménie , que la « bête était morte » et que la curée pouvait se faire sur la dépouille encore frémissante de l’empire ottoman attaqué  de toute part depuis plus d’un siècle notamment après la bataille de Lépante où l’Église rameuta tous les croisés ; C’était en 1827 (...) ».

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    1. Malgré les qualités de ce cette déconstruction critique de la ré-écriture de l'histoire par les vainqueurs - l'Occident -, il manque à ce texte un point de vue critique (même rapide) sur l'Histoire de l'Empire Ottoman : il n'y a que, au début, la carte géographique de la zone maximale de cet Empire. Mais l'absence de commentaire sur cette carte laisse à penser que, pour l'auteur, les conquêtes de cet Empire vont de soi, sont justifiées - et auraient dû être permanentes !
      On en est pas encore à une écriture de l'Histoire du Moyen-Orient du SEUL point de vue des peuples opprimés... (ce que, par exemple, Howard Zinn a fait partiellement avec son "Histoire Populaire des États-Unis d'Amérique).

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  9. Hey ho Rodo ! Suite de mon commentaire pour le w-e du 27 on sera à Primel, à côté de Morlaix. kenavo ! Christophe

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