Photo, Jean Phi - Boulevard de la Fraternité |
-1-Les portes d'entrée sont nombreuses, ici, pour se retrouver en
marge. A tout âge, dès le début d'adolescence - voire la
naissance. Puis à l'occasion d'une volonté de rupture avec, par
exemple, la famille, l'école, le travail salarié haï, le mode
réformiste de syndicats ouvriers où l'on était si mal pour lutter,
chosifié. Ou via longue durée de chômage. Ou addiction à l'alcool
ou autre drogue dure, lié ou non à un « accident de la vie »,
physique, sentimental, professionnel.... Et un seul accident suffit !
: Le couple « limite-marginal » avec enfants et grosse
dèche où j'ai un temps vécu a bien sûr été voleur de « ce
qu'il faut pour chauffer et remplir la marmite » !...
Mais le pire arrive si, parfois, vieille ou vieux, on est « foutu
à la porte » !!!
-2-Les portes de sortie de la marge sont rares, surtout avec
l'âge. Avant ? : la prison, censée être « vertueuse
leçon à marcher droit » est, on le sait bien,
contre-productive, sans doute à 90%. La prison est surtout école de
récidive et de chefs. Fait récent, lié à une recherche de sens
dans un monde sans boussole, la prison sert aussi à l'islamisation
radicale, au recrutement du djihad. Plus classiquement, il arrive que
de petits et jeunes chefs de bande grimpent dans la hiérarchie de
leur zone délinquante, illégale mais si parallèle à la société
légale, toute aussi cruelle. Alors, parfois, « tout en haut,
entre boss confirmés », on négocie, on fait du business, on
paye de bons avocats, on blanchit non seulement l'argent sale, mais
le renom de mafieux : « le caïd devient très honorable
homme d'affaire », corrupteur d'hommes politiques, voire
politicien lui-même : ah la belle sortie de la sordide marge !
Une autre porte étroite existe un peu. Celle d'intelligentes et
courageuses associations genre Compagnons d'Emmaüs, utiles pour une
« réinsertion... digne ». Mais dans quelle société
d'indignes riches et de pauvres... indignés ?
*
La « bonne » société soumise à la hiérarchie du
travail-salarié fabrique sa « mauvaise » marge. Et cette
marge mafieuse là copie son modèle - money-first - et sa
hiérarchie. Via ghettos, favelas et autres « quartiers
sensibles », la haute-pègre mafieuse accompagne très
intimement le capitalisme partout, avec inter-connections entre
régions : Japon et Asie du Sud, Chine et diaspora, Nigeria et
Afrique Noire, Israël, Liban, Émirats et Moyen Orient, Italie et
Europe, Brésil et Amérique latine, États-Unis et... partout au
monde, y compris en Russie, qui n'a pas la moindre des mafias du
monde d'aujourd'hui ! : voilà la bipédie de « l'amoral »
capitalisme actuel, jambe légale et jambe illégale. Oui, le
capitalisme corrompt tout, y compris une certaine marge.
L'approche sociologique de la marge comprend, en plus de l'aspect économique, ceux, primordiaux, du culturel et du psychologique, autant dire de l'idéologie et du politique. Ici, ce qui reste de « l'État-Providence » (issu en gros du Programme du CNR de 1944...) accorde plus ou moins à « l'économiquement faible » l'aumône légale du RSA, le droit théorique au logement social et autres mesures « paternelles ». Le bénéficiaire ayant strict devoir de « chercher travail-salarié » et, benoîtement, droit de devenir PDG. Bonne chance !... Mais le marginal n'étant pas gamin du merci-papa-État mais adulte, il n'en fait qu'à sa tête. Il prend (et pas toujours) RSA-et-plus comme un dû minimum et, selon sa motivation individuelle et les circonstances de la vie sociale, devient « ce qu'il peut ». Bricoleur, artiste ou artisan, etc., à l'affût de toute opportunité d'exercer ses compétences, solidairement autour de lui ou, via le « travail au noir », ailleurs. Système-démerde : « faut vivre ». Ou bien il (elle) prendra, survivant désœuvré, le parti de « zoner un max » (cela s'appelle en Algérie « tenir le mur » puisque c'est le lieu de tuer-le-temps ensemble). Occasion de devenir aussi bien membre de bande de (potentiel ou réel) larcin ou trafic qu'activiste politique radical... ou les deux : Lorsque l'occasion s'en présente, le bon bourgeois s'étonne qu'une « chienlit » existe et déferle casser son beau quartier... Plus poétiquement, Léo Ferré le relève : « y en a pas un sur cent, et pourtant ils existent (…) les anarchistes ! »... Oui, « la zone » est aussi une pépinière d'anarchistes - j'ai connu de vieux libertaires (anarcho-syndicalistes) un peu « dépassés » par ces punks et autres variantes de l'anarchisme de « la zone », si riche de renouveau, d'ouverture au futur...
Aujourd'hui, les anars ont toujours rendez-vous à la ZAD
à créer et à étendre..., comme au pavé à lancer sur le CRS. Là,
la motivation des uns est révolutionnaire quand celle d'autres
marginaux est d'accéder à la richesse dont ils sont frustrés,
aveuglés du miroir aux alouettes de l'hyper-consommation
gaspilleuse. Ils sont ensemble dans la rue en colère, les pilleurs
de magasins et les anarchistes?... mais oui, madame-monsieur du
« yaka-faukon » de la politicaillerie... Oui, ils ont là
deux façons d'exprimer leur même haine du monde bourgeois.
Excellente occasion, ensuite, de fraternellement se radicaliser :
le « frustré » du vieux monde du fric en lucide
constructeur du nouveau monde, « l'anar naïf » en
activiste social et culturel, « acharniste »
plutôt qu'anarchiste : libertaire. Telle est du moins
l'expérience que j'ai acquise à moult occasions – et depuis mai
68 !
*
Oui, bien des femmes et des hommes révoltés œuvrent
dans cette marginalité. Révoltés et intègres par confuse ou
claire conscience de devoir se passer de ce monde dominé par
l'argent et la vitesse - « time is money ». S'en
passer ? : nul ne le peut tout à fait, mais la marge peut
être une belle école de « chemins de traverses » à
créer pour « se passer du tout-fric, et un max ». Que ce
soit dans le domaine du retour paysan à la nature via la
permaculture, le bio etc., sa préservation en ZAD (zone à défendre
comme à Notre Dame des landes, etc.) contre le bétonneur-fou... Que
ce soit dans la vie communautaire, dont celle de squats créant
parfois des ateliers collectifs d'artisans ou d'artistes... Ou que ce
soit dans bien d'autres domaines : oui, la marge abrite aussi
des créateurs d'avenir, amateurs déjà du si bel « art de
vivre autrement », ou d'essayer.
Aventuriers du Nouveau Monde ?... Pourquoi pas ?
Christophe Colomb fut-il autre chose que, d'abord, un
sacré aventurier ?
Sous l'casque d'Erby
Il y a la marge des paumés, englués dans une misère sociale, affective, culturelle, menant souvent à la violence soit envers soi-même, soit envers les autres. Puis il y a la marge féconde, heureusement ! Hier j'ai pensé à une infographie assez sympa, je l'ai retrouvée pour toi : http://www.courrierinternational.com/article/2013/03/18/un-imperieux-besoin-d-excentricite
RépondreSupprimerEn tout cas, je trouve intéressante cette réflexion autour de la marge. Vaste sujet !
Bonne journée les cailloux !
J'irai voir le lien que tu indiques, Elly Chris, merci !
SupprimerCeci malgré le mauvais souvenir que je garde d'un échange de contacts (ancien) que j'ai eu avec ce journal. Cela avait commencé par ma critique d'une enquête sur le monde arabe... j'abrège : cela a duré en allers-retours... et cela s'était terminé par mon avis :"Vous n'êtes que des marchands de papier"!
Bonjour les caillasseux.
RépondreSupprimerLe marginal ! Voici un adjectif qui ratisse large. Quel qu'en soit le cadre dans lequel on l'installe, il est celui qui rassure et qu'on réprouve... Il est l'alibi de bien de causes, des plus humaines aux plus douteuses. Il est le miroir qui murmure à l'oreille de l'âne ou du savant, du gentil comme du méchant. Il est le portrait flamboyant de l'éternelle fragilité de chacun, le fil funambule de la vie sur lequel n'importe qui, un jour ou l'autre, peut se retrouver sans en comprendre la raison...
N'oubliez pas de cliquer sur la légende de l'illustration de Jean-Phi. Son Boulevard de la Fraternité est une fenêtre ouverte sur des univers parallèles de toute beauté.
Jean-Phi est l'un de mes premiers amis à St-Nazaire, il y a 25 ans : surnommé à l'époque "pouèt-pouèt", il m'aida beaucoup à l'aventure de l'association poétique "SnaZ?". Après s'être un peu perdu de vue, un long temps, mais sans jamais se brouiller (il a, bien plus que moi, un tempérament conciliant, ouvert), on se revoit régulièrement notamment depuis son audacieuse création du "boulevard de la Fraternité",..
SupprimerIl m'avait présélectionné hier son choix de photos pour illustrer cette page. J'ai préféré celle-ci ne serait-ce que pour rappeler qu'il y a beaucoup de filles - actives! - dans la marge, si facilement caricaturée en "paumés-mendiants" ou "bandes de gus agressifs"...
Sur Reporterre, à l'instant : une nouvelle ZAD à Rouen!... qui veut "démystifier l'Anarchie". Extratit :
RépondreSupprimerMême s’ils ne présentent pas de revendications précises et partagées par tous, les occupant(e)s manifestent une même envie d’exprimer leur colère autrement que par des défilés ou des bris de vitrines. Ils affirment également leur attachement « à toutes les ZAD, à tous les lieux où ceux qui vivent ensemble se réapproprient leur vie »
L'info ayant déjà changée sur Reorterre, voici le lien : http://www.reporterre.net/spip.php?article6534
SupprimerLien direct-live : Une ZAD s’est installée durant la nuit en plein Rouen
SupprimerJe répercute à ma copine Annie, de Rouen : bien qu'elle soit sûrement au courant !
SupprimerSalut les caupines et les caupains !
De léo puisque tu en as lâché l’haleine, Je ne vois que celle là
RépondreSupprimerMadame la misère écoutez le vacarme
Que font vos gens le dos voûté la langue au pas
Quand ils sont assoiffés il ne soûlent de larmes
Quand ils ne pleurent plus il crèvent sous le charme
De la nature et des gravats
Ce sont des suppliciés au ventre translucide
Qui vont sans foi ni loi comme on le dit parfois
Régler son compte à Monseigneur Ephéméride
Qui a pris leur jeunesse et l'a mise en ses rides
Quand il ne leur restait que ça
Madame la misère écoutez le tumulte
Qui monte des bas-fonds comme un dernier convoi
Traînant des mots d'amour avalant les insultes
Et prenant par la main leurs colères adultes
Afin de ne les perdre pas
Ce sont des enragés qui dérangent l'histoire
Et qui mettent du sang sur les chiffres parfois
Comme si l'on devait toucher du doigt pour croire
Qu'un peuple heureux rotant tout seul dans sa mangeoire
Vaut bien une tête de roi
Madame la misère écoutez le silence
Qui entoure le lit défait des magistrats
Le code de la peur se rime avec potence
Il suffit de trouver quelques pendus d'avance
Et mon Dieu ça ne manque pas
Merci Martine d'avoir relayé l'haleine du Léo!... Quel cri !!!!!!...
SupprimerEst-ce que tu chante ça ? J'imagine entendre déjà ta voix...
La marginalité est aussi dans les cliniques psychiatriques où on essaie à grands coups de cachtons de te faire oublier qui tu es pour devenir normal, sans tenir compte d'un vécu mal vécu, d'injustice, d'addictions variées ou combinées, de violences physiques et morales, de sales à rien du salariat, d'enfance en maltraitance, de délit de "sale gueule" parce que t'es gros, moche, vieux, rachitique, et j'en passe. Je viens de finir un stage de sept semaines et les psys ne servent à rien sauf à engraisser les labos qui leur paient leur vacances et autres avantages. Je suis une bizzarerie psychiatrique c'est la conclusion de séances journalières qui m'a bien fait rire. Je les ai bien emmerdé avec mes réflexions de vieilles punk, qui a bossé dans la visite médicale, la grande distri et la banque alors on ne me la fait pas à moi. Je connais le système et je peux donc en parler. C'est pour les enculer de l'intérieur que j'ai fait ces boulots et maintenant je m'en sers pour aider ceux qui se sentent dépassés. Mon objectif c'est l'arnaque, leur reprendre ce qu'il nous font payer, profiter des moindres failles de leur contrat et récupérer ce qu'il nous vole tous les jours etc... Lors de ma cliniquisation j'ai rencontré des gens excellents marginaux sans le savoir dont la plupart sont des écorchés de la vie qui n'en peuvent plus et dont la seule issue réside dans le milieu semi-carcéral médical. Une expérience de plus pour mon développement personnel. J'ai été virée tout simplement.
RépondreSupprimerMerci, Val, de ce récit à chaud de ton récent vécu. De cette description du "milieu" de mafieux-distingués (psy et autres spécialistes de la médicalisation-business) pour "soigner" les dégâts individuels et sociaux que fait le système-fric. Celui qui fait les sales-à-rien du salariat (!) et les loufiats qui en profitent : PROFITS des bénefs (belles carrières liées aux "soins", beaux actionnaires, beaux politiciens blablas)...
SupprimerMerci aussi de ta fine compréhension d' "excellents marginaux sans le savoir" : je crois que tu pourrais plus en dire sur les "écorchés de la vie"... Et ne sommes-nous pas tous et chacun(e) écorchés du système-fric et de son arme d'esclavagiste du travail-salariat...