A Saint-Nazaire, une
vraie librairie, indépendante, a vu le jour 18 mois après faillite
d'une autre, fort différente. Mais c'est déjà beaucoup mieux que
de devoir choisir entre « un
truc qui vend des livres parmi des cacahuètes et des portables »
et un autre truc semblable !...
Au
soir du 18 mars, Sarah-de-l'Embarcadère-nouvelle-librairie
accueillait Gérard-de-Voix-au-Chapitre-librairie-défunte.
Pas un passage de flambeau, mais une présentation de « Dernier
chapitre »,
titre de l'excellent petit livre que Gérard consacre à ses 18 ans
de si dures et belles expériences d'artisan-libraire dans ce monde
si cinglé du big-business régnant. Il y avait une trentaine de
personnes (plutôt 40-50 se succédant sur les 30 chaises) et le
débat fut animé. Soit par les quelques-uns qui, fraîchement
arrivés, ne connaissaient pas l'ancien libraire, soit par ses
habitués et donc amis - comme moi. Nous contenions souvent notre
émotion, moins bien que Gérard, maître en la matière, comme le
démontre son livre. Je n'ai pu rester jusqu'au bout à tort ou à
raison : Je suppose que cela c'est terminé par un bon
pot-entre-potes-nouveaux-ou-pas, comme ce fut toujours le cas dans
son antre, avant ce « Dernier chapitre », où l'humour a
le dernier mot. Car le bougre n'en manque pas comme en témoigne sa
dédicace faisant référence à mon carnet-photo « Surprises
de Vue » : « Pour
Rémi, fidèle parmi les fidèles, ces Vues Sans Surprises mais sans
trop de clichés. Amitié ».
Vu
l'abondance des bavards, je ne suis intervenu qu'une fois pour citer
LA perle du livre : « Sur
des salons, certains auteurs se comportent en camelots, racolant les
clients à grands coups de
''Elle
est fraîche. Elle est fraîche, ma littérature !''. Ça me
tape sur les nerfs. Certains libraires se comportent pareil,
annonçant péremptoirement : ''c'est ça qu'il faut lire''. Ça
m'énerve encore plus. Mon métier ce n'est pas de forcer la main au
lecteur, c'est de l'aider à trouver son bonheur ».
J'ai insisté sur les deux derniers termes ''son
bonheur''.
Il y a bien d'autres perles dans le collier de bonheurs qu'est ce
livre, survolant tant de soucis quotidiens. En voici quelques unes,
choix très subjectif ! Mais sachez d'abord que l'essentiel de
l'ouvrage part des notes du libraire-entre-deux-clients, de quelques
lignes à une bonne page... car la clientèle fut très élastique et
trop faible, surtout en pouvoir d'achat, pour perdurer 18 ans :
un exploit d'artisan plus pauvre qu'un RMIste !
*
Tenir,
pour quoi ? Pour faire de la thune ? Ça, non. Je le savais
dès le départ. Je n'ai pas fait libraire pour m'enrichir. Sinon
j'aurais choisi plutôt la pizza prévomie, la fringue prédéchirée,
ou la politique à veste et pantalon multi-retournables. Non :
tenir parce que je suis assez con pour croire que le boulot d'artisan
que je fais, même s'il ne met pas grand chose dans l'assiette et
nourrit plutôt l'ulcère des soucis, apporte ce plaisir incomparable
de rencontrer des gens bien, usant de la magie des mots pour dire
douceur, tendresse, amour, ferveur, détresse, douleur, horreur,
rage, de façon à ce que ça résonne en nous, nous empoigne, nous
morde, nous vide, nous caresse, nous exalte, nous grandisse. Et parce
que j'espère pouvoir passer un petit bout de ça à d'autres, les
curieux, les sensibles, les en quête de...(p.85)
*
C'est
la faute à ma maman. Si je n'avais pas, tout gosse, trouvé dans sa
vaste bibliothèque Le
comte de Monte-Cristo
en gros volume illustré, tanné par les lectures, je n'en serais
peut-être pas là.(p.15)
*
Moi
qui me suis toujours considéré comme un ennemi de l'asservissement
des hommes au commerce, je vais maintenant devoir plonger dans les
affres du tiroir-caisse. Le veau d'or (qui est toujours de boue)
rigole doucement.(p.15)
*
Je
chantonne souvent, sans y penser. Les clients me disent : « Vous
avez l'air joyeux. » Pas forcément. Je chantonne même quand
je suis triste. Je suis, en cela, un tsigane, un peu merle. Chanter
n'est pas pour moi une manifestation de gaieté ou de tristesse. Cela
fait partie de ce que les revues à la mode appelleraient hygiène de
vie. Je chante comme je respire. Et quelquefois, je fais une fausse
note ou je tousse, sans souci. Je chante comme chantait mon
grand-père dans son atelier ; comme chantaient autrefois les
prolos sur les chantiers, et je trouve bien triste que ça se soit
perdu. Un vieux syndicaliste pour lequel j'avais une grande tendresse
disait, pour m'expliquer ce qui à ses yeux caractérisait le
dynamisme du mouvement ouvrier de sa jeunesse : « On
chantait. Oh ! Pas seulement dans les manifs. Sur les chantiers,
devant la machine, tout le temps. Tout le monde chantait. On en
bavait, mais on chantait. » Oui, chanter, ça faisait partie de
la besace à vitamines du prolo. La bourgeoisie ne chantait pas. Elle
allait au concert ou donnait un récital au salon avec fifille au
piano. Aujourd'hui les prolos bredouillent dans les karaokés et
disent en aparté : Je ne sais pas chanter. On a envie de leur
dire pour les consoler que les stars du moment ne savent pas chanter
non plus. Mais que chanter n'a rien à voir avec être chanteur.
C'est laisser sortir la note qui chatouille. C'est se faire
plaisir.(p.37)
*
La
salle consacrée aux rencontres, je l'ai baptisée salle Louis
Scutenaire, et j'y ai affiché une citation de celui qui, pour moi,
est un grand bonhomme : « On peut attraper les idées en
leur jetant des mots » Pas un des auteurs français que
j'invite ne connaît Scutenaire. J'ai grande joie à le faire
découvrir.
J'invite
un poète belge : ah ! Scutenaire. Ça fait plaisir.
Bravo ! Tous les grands écrivains belges étant considérés
français dès qu'ils sont un peu connus, je me dis que Scut' a eu
bien de la chance d'échapper à cette malédiction.(p.32)
*
C'est
un punk, un vrai : rangers, treillis, anneau dans le pif éclaté
par les bastons de squats et superbe coupe iroquois. Avec sa meuf et
le chien, ça fait des mois qu'ils passent devant la librairie,
plusieurs fois par jour, du squat à la manche, de la manche au
squat. A chaque fois, elle ralentit le pas, jetant un œil en coin
sur les bouquins. Elle a dû finir par le convaincre. Ils ont poussé
la porte. Ils explorent. Lui, on sent qu'il en a vite marre, mais
elle fouille vraiment. Ça dur. Il décide que ça suffit : bon,
ça y est ? J'espère qu'elle a eu le temps de me piquer le
livre qu'elle voulait, en espérant aussi que ce ne soit qu'un poche.
Mais c'est lui qui s'avance vers la caisse, avec l'air du bûcheron
qui a mal digéré son mélèze, et qui me tend un livre qu'il paye !
C'est
Le
dernier des Mohicans.(p.20)
Un coup d'insomnie pile pour découvrir la parution de mon article. Merci lediazec et bravo à Erby !
RépondreSupprimerGérard m'a confié qu'il était en ce moment au "salon du livre". Je suppose qu'il a plein de contacts à renouer et qu'il ne va pas trop chanter aux visiteurs "elle est fraîche ma littérature!", encore que ce soit le cas et qu'il chante bien !
Je sais qu'il est curieux de lire mon commentaire et mon choix : je lui ai montré ma liste de présélection d'une vingtaine de citations !
si vous êtes tenté de lire Dernier chapitre, je souhaite que vous évitiez de le faire par internet (qui tue les artisans libraires) mais par votre libraire préféré ou par "l'embarcadère" (qui en a un stock) ou encore par l'éditeur (voir le lien "ou va t'on?") qui est un des nombreux petits éditeurs courageux, lui situé à Nantes.
Bon dimanche entre deux giboulées de mars !
Bonjour les caillasseux. Temps Clochemerle !
RépondreSupprimerUn livre, des livres et un poids à porter, c'est le lot de chacun, comme si magnifiquement résumé chez les cafards : Le poids de la culture
Zyque du jour : Woody Gunthrie
Bon choix de zyque, suivant les goûts - très éclectiques ! - de Gérard en ce domaine. D'ailleurs, lors de soirées dans la salle Scutenaire, il grattait et chantait volontiers "à la Woody Gunthrie"...
Supprimerje vais relire ça tranquillement, je file tenir un bureau de vote. Beau dimanche aux caillouteux
RépondreSupprimerUne belle page en ces jours du Salon du Livre à Paris.
RépondreSupprimerEn ce dimanche électoralissime, où la comprenette semble s'être fait la malle avec tout son arsenal, il est bon de s'attarder sur des réflexions qui n'ont pas été tapées par les doigts d'un manchot : De la technique, pour quoi faire ? Lecture.
RépondreSupprimerOn est sous la neige, à Zermatt, chez le fiston, mais je pense qu'on pourra rentrer la semaine prochaine ! Bonne fin de dimanche...
RépondreSupprimerSalut Erby, salut à tous ! Je viens de voir une photo : tu as peut-être croisé mon copain Naoto Matsumura, qui après avoir manifesté sur le Rhin avec beaucoup d'autres, fait une conférence au parlement de Strasbourg le 11, jour anniversaire, a continué son périple en Allemagne et en Suisse : la photo le prend au mont Cervin. Il rentre aujourd'hui au Japon, pour retrouver ses animaux à soigner et nourrir à 15 Km seulement de la centrale de Fukushima. Il se sait condamné bien sûr.
RépondreSupprimerdommage que... Sarah de "l'embarcadaire" soit sur la liste de monsieur Samzun aux municipales. Ah dame faut bien faire marcher la boutique et le clientélisme fonctionne si bien sur ce bout d'estuaire
RépondreSupprimer;-)
Bien d'accord sur ce point... on en reparlera après le 2°tour. Je hais le clientélisme, déteste depuis 50 ans le PS et ce Samzun a une tête à claquer à perpète (car je suis contre la tête à guillotiner depuis toujours). Mais ce bout d'estuaire a bien de la poésie, spa?
SupprimerAh, mais Rémi est là ! Je me faisais du mouron pour lui ! Même les municipales le font réagir ! Garçon, tournée générale !
SupprimerOui Rémi, ce bout d'estuaire a de la poésie et celle-là, elle est libre comme les vents contraires qui agitent les vagues, les nouvelles et aussi les plus anciennes qui se fracassent sur la raison, que dis-je, la déraison d'exister.
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