mardi 20 octobre 2015

Rue des maléfices – Jacques Yonnet

« Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu hais. »

Jacques Yonnet est cet écrivain « confidentiel » que j’ai lu et relu récemment, grâce aux conseils avisés de Didier Goux. Si sa production est restreinte, le tout se limitant à des poèmes, des nouvelles et articles de journaux, son talent est de ceux qui squattent vos pensées pendant longtemps, des ceux qui marquent comme un tatouage sur la peau. Jacques Yonnet était un électron libre, préférant l’odeur de la vie à la cuistrerie des grands « militants engagés » qui ne sont souvent que les tortionnaires de demain : résistant, anticonformiste, poète, conteur, vagabond, grand érudit, il est le grandissime et fin connaisseur de l'histoire de Paris.
Jacques Yonnet est mort un mois d'août de l'année 1974, à l'âge de 59 ans. Un mois idéal pour prendre congé, aurait-il pu écrire si l'ankou lui avait laissé le temps. Ce livre, paru initialement sous le titre « Enchantements sur Paris » est le seul qu'il publia.
Avec Yonnet on approche Paris comme on hasarde la conquête d'une femme qu'on sait trop belle, trop mystérieuse, trop inaccessible, tant tout en elle suggère des envies furieuses. Gagnée ou perdue, la partie se doit d'être jouée.
Dès les premières lignes on sent que la chose ne va pas vous lâcher le train de sitôt. Le souffle tiède des nuits mouffetardes vous enveloppe et, vous tirant par la manche, vous entraîne dans une randonnée exceptionnelle. De la base au sommet, la pyramide de l'inconscient fait l'objet d'un mouvement continuel. Du faux plat aux collines escarpées ; de l'avenue à la ruelle, Paris se dénude tout en conservant sa dignité. Nous sommes à Paris pendant l'occupation. Paris occupé. Paris préoccupé. Paris privé. Paris débrouillard. Paris vivant, encore et toujours. Paris collabo et Paris résistant aux vents mauvais de l’histoire par une force qui lui est propre.
Des souffleries de ses forges secrètes s'échappe l'oxygène de la vie et de sa démesure. De sa poésie. De sa beauté et de son incroyable vitalité. Paris, dont Jacques Yonnet fouille l'histoire à coup de semelles pour nous rendre une copie pleine d'amour, de passion et de rêve, dans un style d'écriture somptueusement vivant. Dans une ambiance nocturne oppressante, mais poétique, le crépuscule se faisant jour, c'est toute l'histoire d'une ville qui vous apporte sa formidable créativité. Entre Mouffetard et Gobelins, ça grouille d'une faune colorée qui vit ou vivote au rythme d'une histoire faite de sortilèges, de croyances et d'architecture mentale échappant à la logique de la science cartésienne. Une géographie où la vérité, cherchant à se frayer un chemin dans les méandres d'un monde surréel, offre des accents pathétiques aux passants. La poésie n'ayant que faire des craintifs, respire le grand air. C'est le défilé des bataillons de la « cloche », de la vie poussant le bitume vers les nuages, guidée par on ne sait quel vent hasardeux mais salutaire. Sous les enseignes des « Quatre Sergents », chez Olivier, celle du « Vieux Chêne », ou encore « Aux trois mailletz », on y croise,  selon l'humeur, outre les habitués, Flora l'Hallucinée ; l'Amiral, gardien de phare de son état ; Pépé la Lope, amputé, et pas que de la jambe ; Pierrot la Bricole et autres Léon la lune. Le Paris-Bouge est à l'œuvre, avec Danse-Toujours, Dolly-Longue-à-Jouir, Mina-La-Chatte et autres graines d’avenir. Dans ce pari, Paris est à la fête. Une drôle de fête. Dans cette farandole, la gitanerie a, elle aussi, son mot à dire et, parce que l'aventure est humaine, elle se lit aussi bien entre que dans les lignes de la main. Magnifique !
A la suite d'une succession d'événements malheureux que la presse à sensation des années 50 du 20ème siècle voulut inexplicables, donc magiques, on fit à ce livre et à son auteur une sorte de publicité dont ils auraient pu, l'un et l'autre, se passer. Dans le dernier chapitre de l'ouvrage, ajouté des années plus tard, intitulé « Où l'auteur vous parle à bâtons rompus », Jacques Yonnet fait le point sur ce procès en sorcellerie, mettant l'accent là où il doit être mis. Entaché d'ésotérisme, le livre eut à pâtir d'une certaine presse et de certains journalistes, parmi lesquels monsieur Louis Pauwels. 
Dans un article publié dans « Carrefour », une espèce d'hebdomadaire grand public, il s'en prenait à la rue Mouffetard et à ses « clochards magiciens », à ses « rois gitans », à l'origine d'on ne sait quelles aventures d'occultisme et de magie noire. La magie ayant ponctuellement fait les affaires de la presse au rabais, voici un extrait du portrait que monsieur Pauwels dressait de Jacques Yonnet dans son papier : « Poète, aventurier des ruelles nocturnes, historiographe et peut-être détenteur d'assez importants secrets… » Diantre ! Il n'en fallait point davantage pour émouvoir une opinion toujours aussi facile à manipuler. Pauwels qui se laissa dériver des rives du PC à celles du Fig Mag, à qui nous devons par ailleurs un assez bon « Matin des magiciens », en collaboration avec Jacques Bergier, trouvait peut-être dans le talent de Yonnet de quoi nourrir une certaine frustration.
Longtemps après sa disparition, Jacques Yonnet reste ce poète du verbe qui parle si bien de la Ville, de cette part d’ombre qui rend sa lumière si vive ! De son histoire dans le temps et dans l'espace. Homme d'un seul livre, comme d'autres le sont d'une seule femme, Jacques Yonnet est un écrivain formidable. Illustré par des photographies de Robert Doisneau et des dessins de l'auteur, voici un ouvrage d'exception. Si vous n'avez jamais vu deux pierres se tirer la gueule et que vous voulez vous instruire sur le sujet, c'est chez Yonnet qu'il faut se rendre.

Sous l’casque d’Erby




7 commentaires:

  1. Bonjour les caillardeuses et les caillardeux. Un livre (et un bon !) non point pour fuir une réalité atroce et somme toute ennuyeuse, mais pour essayer de voir plus loin. Suivre la route des nuages pour en épouser les courbes pour goûter au plaisir de leur compagnie. Savent-ils qu'ici-bas quelqu'un voudrait les toucher ? Ignorent-t-ils que le long de leur course des mains volontaires en caressent l'espoir ?
    La bonne lecture à toutes et à tous.

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  2. Pas lu, peut être un de ces jours

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  3. "Revoir Paris après 7 ans : Les voitures n’ont jamais été aussi grosses, et il n’y a jamais eu autant de gens qui dorment dans la rue."

    Je lis ce commentaire au dernier billet de PLANETE SANS VISA et je me demande ce qu'écrirait J.Yonnet s'il revenait à Paris après tant de décennies !

    Mais ce billet, pourtant n'a pourtant pas de rapport (direct) avec Paris;
    Il pourrait s'intituler "Circulez, C'EST QUE DU VENT, y a rien à voir" puisqu'il est consacré aux éoliennes industrielles = machines à fric.

    Formidable papier! J'en donnerai tout à l'heure quelque extraits, mais vous engage déjà à le lire :
    http://fabrice-nicolino.com/?p=2068

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    1. Voilà un extrait de ce billet, écrit par Fréderic Wolf, à qui Fabrice Nicolino a laissé la place :

      "(…) Tant que nous resterons dans une société de croissance et de développement, nous n’aurons rien à espérer des soi-disant énergies propres.
      Si l’éolien devait avoir un avenir estimable à mes yeux, il aurait un tout autre visage. Je l’imagine auto-construit et auto-réparable, à l’échelle d’un foyer ou d’un quartier, s’inscrivant dans une « réduction des besoins », une « décroissance » volontaire (On peut prononcer le mot désormais, même le Pape le revendique).
      Ce n’est pas la voie retenue par nos énarques et par nos ingénieurs des Mines, des Ponts et des Charniers, ça ne le sera jamais tant que l’hédonisme marchand, la toute-puissance technologique seront nos dieux intimes et collectifs ; ce capitalisme – que d’aucuns dénoncent avec véhémence comme s’il nous était extérieur – nous est consubstantiel, pour ainsi dire ; plus ou moins, nous sommes les proies et les carnassiers, les persécuteurs et les cobayes, les spoliés et les bons soldats de la débâcle, les empoisonnés et les empoisonneurs pour qui l’emploi est plus important que la vie, la nôtre et toutes les autres, nous sommes le tortionnaire et le bétail supplicié de la naissance jusqu’au trépas, les contremaîtres et les employés en batterie troquant leur vie, leur liberté contre un salaire. Même si, et je ne le sais que trop, certain(e)s sont plus responsables que d’autres, même si nous sommes un certain nombre à chercher le chemin pour nous libérer de ces chaînes.
      Dans cette roue qui tourne sous l’impulsion de notre course folle, le seul horizon, c’est l’emballement. L’éolien, quand il participe à cette démesure, ne fait que nous précipiter vers le néant et ce ne sont pas les dogmatiques de la croissance verte qui me feront prendre des messies, les leurs – des leurres – pour des lanternes (...)"

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  4. autre commentaire à cet article, signé Laurent Fournier


    Juste une précision sur la “croissance subie”: En Inde, les grandes famines de la fin du XIX siècle qui ont fait 30 millions de morts s’expliquent en majeure partie par l’accaparement des terres pour des récoltes commerciales destinées à l’exportation, et souvent exotiques (non locales) et destructrices des sols, comme l’indigo, le coton, le teck… Aujourd’hui les forets sont remplacées par des « plantations d’eucalyptus » à perte de vue, autre espèce exotique qui stérilise les sols et après laquelle rien d’autre ne pousse, et qui éradique aussi les milliers d’autres variétés végétales, alimentaires, médicinales et aux multiples autres usages, qui font vivre les communautés locales.

    Problème similaire en Afghanistan, ou pendant l’occupation de l’OTAN la production d’opium a triplé, remplaçant les récoltes alimentaires par une récolte commerciale exclusivement destinée à l’exportation, fournissant 90% de l’héroïne mondiale à un prix battant toute concurrence. Croissance subie, mortifère, mais promue par les réseaux du commerce mondial et sous protection militaire de l’OTAN.

    La destruction de l’écologie n’est pas une conséquence désastreuse. C’est le but même de la croissance, l’origine du profit. L’abondance et la prospérité tuent le profit. Les éoliennes faites maison aussi.

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