jeudi 23 mars 2017

La Bête et la Belle - Thierry Jonquet

Souvent je m'attarde sur des livres dits sérieux, mais il est un genre que j'aime et sur lequel je m'attarde rarement : le polar.
De passage sur Nantes, dans une autre vie, B.mode – un sacré blogueur et ami – de feu Ruminances, m'avait offert quelques séries noires dont un Thierry Jonquet me disant grand bien : « La Bête et la Belle ».
En cette période trouble de débats pauvres en programmes, où chacun cherche à tuer chacun, la relecture tombe à point nommé, puisque là, la mort n’est violente que dans l’imagination, un peu comme on le dit parfois de l’amour : platonique ! Sauf, que les gens finissent  par mourir bel et bien.
Je connaissais Jonquet de nom, mais je n'avais jamais ligoté le moindre missel. C'est bien la peine de clamer qu'on aime le polar et de négliger le local, sous prétexte que des monstres tels Chester Himes, James Ellroy et autres Dashiell Hammett trônent au panthéon du crime longtemps après leur disparition.
Comme il n'est jamais trop tard pour combler les lacunes, j'ai lu le Jonquet. J'ai aimé le style d'écriture et sa façon de jouer avec les miroirs, de vous guider dans leur labyrinthe avec trois fois rien. Mais ne vous y trompez pas, ces riens forment un tout inaliénable et même très aliénable : s'il est facile d'y pénétrer, ça l'est beaucoup moins pour en sortir.
L'histoire n'étant que le support sur lequel on colle l'adhésif d'un univers qui nous est commun et que l'auteur distille un peu à la façon d'une parabole mettant aux prises le conteur et le lecteur-témoin, je me suis embarqué dans une croisière à la Costa, sachant d'avance que vous ne coulerez pas avec le mastodonte, tout en restant le témoin privilégié du naufrage. C'est là tout le plaisir du frisson : à vous de voir si ce conte est une histoire imaginée où le fruit pourri d'un arbre dénaturé.
Il y a dans l’histoire une cité-champignon, comme le rupin en a fait construire tant dans des terrains vagues, pour chasser le manant des beaux quartiers, empochant au passage des sommes colossales ; une usine de bagnoles avec des plans sociaux à répétition et des syndicalos qui prennent l’eau pour réguler le pastaga ; des licenciements massifs, des pneus qui brûlent dans les cerveaux et des cerveaux qui brûlent leur gomme à force de tourner à vide, l'odeur de carburant collée aux fringues, sinon à la peau. Il y a une nature déracinée et du béton qu'on coule à la place des champs de blés. Il y a la vie, les rêves et la mort qui rôde. A chaque pas, le survivant, ombre sinuante, peut se vanter d'avoir réussi un miracle : sauver sa peau !
Il y a, bien sûr, un commissaire blasé qui rêve de retraite dans son mont Ventoux natal, qui aime le boulot bien fait, même si ça le fait chier de brasser du vide dans la fosse à purin du côté de la Normandie, une région qui ne lui cause pas.
Il y a un Coupable, un témoin muet, des poubelles à ne plus savoir qu'en faire, des morts à alimenter le journal des faits divers et des crépuscules qui ne veulent pas s'en aller sans imprimer une trace durable dans les annales du subconscient collectif.
Il y a, aussi, un « emmerdeur », dont on ne sait rien d'autre sinon que la gamelle dans laquelle il graille est pleine de bactéries et que c’est dégueu ! Mais c’est son boulot, c’est souvent ce que l’on dit dans les rédactions pour expliquer les traces de dégueulis sur la moquette.
Tout ça jusqu'au rebondissement final – une belle surprise – avec le regard de celui qui sait mais fait semblant d’ignorer, tant l’idée de savoir qu’il s’agit d’une fiction et non de la réalité est rassurante.
Un monde de merde, le nôtre !

Sous l’casque d’Erby


8 commentaires:

  1. Le bonsoir aux caillardeuses et aux caillouteux. Et on dit que le crime ne paie pas ! J'en deviens maboule !

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  2. Jonquet est un grand. J'espère que tu as d'autres bouquins de lui sous le coude.

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  3. Salut les potes !
    Je ne connais pas Jonquet. En revanche, un type qui vient parfois au café La Perle en a écrits, des polars. Il est surtout connu pour ses albums de photos.

    Incidemment, il est aussi cousin germain de Yves et Marc Pajot, les navigateurs qu'on ne présente plus.

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    1. Bonjour Jean-Claude. J’ai lu de lui « Les vacances de monsieur Tati », offert par l’ami Rémi à l’occasion d’un séjour à Saint-Nazaire sur les lieux du tournage du film « Les vacances de monsieur Hulot ». En revanche, j’ignorais tout de ses polars publiés sous le pseudo de James Fortune… On en apprend tous les jours.

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  4. Avez vous remarqué que pour écrire son slogan vengeur, l'adorable petite vieille a dû déplacer entre 3 et 5 fois son déambulateur !... Salaud de Fillon même pas de respect pour les têtes blanches !... 8-(

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    1. Maintenant que tu le dis, oui, c'est évident... Sinon, j'adore ce crobard, bien plus parlant qu'un grand développement discursif. C'est votre grande force à vous les crobardiers !

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  5. Sur son blog, Yannis Youlountas évoque aussi la bêtise. EXTRAIT :

    "BÊTISE DE LA PURETÉ, PURETÉ DE LA BÊTISE - Déchirez-vous si vous voulez
    pour savoir si voter, c’est hallal, et si s’abstenir, c’est cachère.
    Crevez-vous les yeux réciproquement pour avoir bouffé ceci ou cela.
    Dénoncez-vous à chaque poignée de main avec des voisins de lutte
    idéologiquement hétérodoxes. Faites les beaux, les purs, les parfaits…
    Mais fichez-moi la paix (...)"

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    1. C'est un peu cela, Rémi, que nous ne cessons de répéter depuis 10 ans entre Ruminances et Cailloux. Pendant combien de temps encore ?...

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