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''La marge tient le texte'', rappelle Jean-Luc Godard. Même le texte des Tables de la Loi. Celui de la nouvelle religion dictatoriale DIEU-FRIC, dont l'Article 1 est TINA, selon Margaret Tatcher, le nouveau Moïse. TINA=There is No Alternative. Mais la marge crie et crée TIAAAA = There Is An Another Alternative : Anarchy. Et l'Anarchie est une foule d'alternatives !...
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René Vautier n'est peut-être pas ouvertement anarchiste, mais toujours de tempérament Libertaire. En tout cas cinéaste ''marginal'', anticonformiste comme son collègue J-L Godard, bien plus célèbre - de la même génération (René en né en 1928, Jean-Luc en 1930). Beaucoup de différences entre eux n'effacent pas le fait de marginalité commune. Plus intellectuelle, savante et poétique pour le bourgeois-éclairé Godard, suisse, beaucoup plus instinctive, spontanée, farouche pour le fils-de-prolo Vautier, têtu-breton...
A 15 ans, René Vautier se trouve dans la Résistance, à faire le coup de feu comme son contemporain, breton et poète Youenn Gwernig, par exemple. Mais il est le premier à témoigner, en 1949, des horreurs coloniales, et l'un des seuls cinéastes. Il n'a pas même 20 ans et est envoyé en tant qu'éclaireur-de-France (mouvance scoute) dans le fleuron français de l'Afrique de l'Ouest. Il ne connaît rien au colonialisme... à peine, un peu, le métier de cinéaste. Mais il sait improviser, et surtout vibrer à la vue et à l'écoute de ce qu'il voit. De sa voix si fluette, voici ce qu'il dit au début de son premier film ''AFRIQUE 50'' :
Ici, le chef de village, Sikali Wattara, a été enfumé et abattu d’une balle dans la nuque, une balle française… Ici, une enfant de sept mois a été tuée, une balle française lui a fait sauter le crâne… Ici, du sang sur le mur, une femme enceinte est venue mourir, deux balles françaises dans le ventre… Sur cette terre d’Afrique, quatre cadavres, trois hommes et une femme assassinés en notre nom à nous, gens de France !
Plus, loin, cette typique perle de la bouche d'un administrateur colonial :
Perfectionner l’équipement, à quoi bon ? Une machine ferait le travail de 20 noirs, bien sûr. Mais 20 noirs à 50 francs par jour reviennent moins chers qu’une machine. Alors, usons le noir...
De fait, il tournera ce film clandestinement. Arrivant à échapper à la traque de zélés policiers, partout dans la brousse et surtout à Abidjan, Ouagadougou, Dakar, grâce à beaucoup de complicités d'Africains, trouvées au fur et à mesure dans ses aventures rocambolesques. Sachant bien que le pouvoir veut détruire son film documentaire à charge, il fait voyager clandestinement par voies diverses ses bobines enregistrées... se faisant même saisir un paquet de bobines vierges, pour calmer le zèle de ses poursuivants !
Finalement de retour, il va se réfugier chez sa mère, institutrice en région parisienne et y cache son trésor, dont des pépites se sont égarées... Là encore il doit à la solidarité locale du peuple ouvrier du coin et de sa farouche mère que son film ne soit pas saisi, mais au contraire : des copies sont faites clandestinement, car, dès que possible, elles sont saisies en début ou fin de projection publique, qui deviendront de plus en plus discrètes mais efficaces. Et l'interdiction ne sera levée qu'en 1990, 40 ans après sa réalisation !...
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René Vautier est surtout connu pour le grand film ''Avoir vingt ans dans les Aurès'' (1972, Prix international de la critique au Festival de Cannes). Mais il a beaucoup tourné. Dans les maquis algériens (film saisi bêtement par le FLN, qui le mettra en prison 20 mois, de 1958 à 60). Puis, lors de son séjour à Alger (car Vautier n'est pas rancunier) de 1962 à 65, où il fonde le Centre Audiovisuel Algérien, il fera ''Un peuple en Marche'' (63). En 1972 il fera grève de la faim pour faire lever la censure du film de Panigel ''17 octobre 1961'' sur les meurtres d'Algériens par la police parisienne. Plus tard, il fera entre autres, ''Marée Noire, Colère Rouge''(78 : Amoco-Cadiz), ''Hirochirac'' (95 : 50° anniversaire d'Hiroshima, nouveaux essais nucléaires à Mururoa)...
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Après avoir plusieurs fois croisé René Vautier, j'ai fini par bien le connaître en 2009 : C'était lors des procès opposants une vieille folle nostalgique de l'OAS et trois amis qu'elle diffamait : les cinéastes René Vautier et Mehdi Lallaoui et l'historien du colonialisme Olivier Lecour Grandmaison. La première fois, elle perdit à Quimper mais fit appel et perdit pire à Rennes !. J'étais là parmi d'autres ''Anciens Appelés en Algérie et Amis Contre la Guerre'' (4ACG) et ce fut l'occasion d'apprécier l'humour, la vaillance de ce vieux René : 86 ans...
Note sur ce tout récent LIVRE-DVD (Vautier a participé au second):
Afrique 50 : Un film de René Vautier 17mn - N&B – 1950
De sable et de sang : Un film de Michel Le Thomas. Produit par les Films de l’an II. 27mn - Couleurs – 2012. Durée totale (avec compléments) : 144 mn.
Le livre : 134 pages - illustrations - carnet photos. Prix de vente : 22 euros. LIEN.
De sable et de sang : Un film de Michel Le Thomas. Produit par les Films de l’an II. 27mn - Couleurs – 2012. Durée totale (avec compléments) : 144 mn.
Le livre : 134 pages - illustrations - carnet photos. Prix de vente : 22 euros. LIEN.
Afrique 50 + De sable et de sang (LIVRE-DVD)
Sous l'casque d'Erby
Bonjour les caillasseux. Temps vivifiant. Merci Rémi !
RépondreSupprimerLa marge, écris-tu, faisant écho à Godard, c'est encore et toujours le texte, cet espace blanc, plus ou moins large, sur lequel on condense des signes et des codes, comme un appel à la mémoire, à l'astérisque et périls. Pour ne pas oublier que l'Afrique n'est pas un pays, mais un Continent-berceau que des blancs pas propres ont saisi au colbac, serré, étouffé, dépouillé, laissé pour mort, expliqué dans les écoles, façonné l'image comme le Maître modèle son sujet, pour mieux te clouer au banc de l'esclavage, cette plaie purulente, mais toujours vivant, envers et contre tout, parce que la vie, la survie, porte en elle une force que le satrape ne comprendra jamais, parce qu'elle sait aller à l'essentiel.
Vautier l'avait compris. Nous aussi ! Merci à lui.
Merveilleux billet.
Oui, magnifique billet, magnifique Vautier, magnifiques combattants opposés à ceux qui se sont intitulés "nos maîtres", parce qu'ils sont trop bêtes pour être citoyens. Oui, trop bêtes, débiles, mais cruels.
RépondreSupprimerMerci aux premiers commentateurs ci-dessus...
RépondreSupprimerEt bravo à Erby, dont le crobard est un contrepoint "pile-poil" au sujet du jour...
ainsi que la video du jour : Desproges dans un fameux sketch du Tribunal des flagrants délires !
A propos du crobard du Jour, voici ce qu'Erby écrit dans son blog et que je reproduis au cas où vous n'auriez pas cliqué sur le lien : "Le travail par surfaçage multi-formes me prend trop de temps et bloque mes autres activités ; notamment mes balades dans mes chères Cévennes ! Je vais donc garder le concept des "6 cases", mais revenir au système "crayon-papier" (éventuellement durant mes pérégrinations), puis scan et mise en couleurs sur la bécane de retour à la cambuse". Ah que salut à tous !..."
SupprimerPersonnellement je trouve cette formule beaucoup plus chaleureuse, mais c'est mon avis...
Oui
SupprimerMon Rémichhhhh, quel bouffé d’air frais dans ce génocide actuel, Bravo !
RépondreSupprimerUne amie pédagogue me téléphone en protestant, suite à sa lecture de mon article du jour : "Quelle horreur, tu fais l'éloge de l "enfant-soldat" Vautier de 1944, alors que tu dénonces par ailleurs, comme moi les "enfants-soldats" d'Afrique ou du Moyen-Orient !"...
RépondreSupprimerJe proteste à mon tour : RIEN à VOIR !
Il y a toujours eu, individuellement, de tous jeunes gens (des 2 sexes) plus matures que la moyenne (théorique), qui se sont engagés dans diverses résistances (non violente ou armée). Souvent contre l'avis de leurs aînés, en trichant sur leur âge, par exemple...
Alors qu'en Afrique (et ailleurs), il y a des trafics organisés, ou des rafles, etc. pour armer (drogués souvent) des gamins, quasi-esclaves (et souvent victimes de viols, en prime) : une perversion épouvantable de la généreuse jeunesse...
Et je suis attristé que toi, pédagogue, puisse faire cette confusion : décidément y a tout à revoir pour une saine "instruction publique"...
Et, n'oublions pas "Un homme est mort" qu'il filma à Brest à propos de la mort de Edouard Mazé tué par les forces de l'ordre : http://lescenobitestranquilles.fr/?s=ren%C3%A9+vautier&x=10&y=10
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