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Ernest Hemingway, Notes sur la guerre, 1935
La vie n'est qu'un bateau perdu dans les naufrages de l’histoire.
À Diego García, île principale de l'archipel des Chagos, dans l'océan Indien, les natifs furent mis au vide-ordures, au nom de la raison du plus fort !
« Propriétaire » de ce bouquet de perles minuscules, posé au milieu de l'océan Indien, l’État anglais, qui, comme tous les États de même nature, ont fait du bien d’autrui les fonts baptismaux d'une civilisation criminelle.
Pour des arrangements géostratégiques, l'endroit représentant un intérêt pour l’Empire, les Anglais ont loué Diego García à l'armée américaine pour qu'elle y construise (quoi sinon ?) une base aéronavale.
Située au croisement de voies maritimes, reliant l'Extrême-Orient à l'Europe, l'île de Diego García offre une vue stratégique sur l'Inde, l'Afrique, l'Indonésie, le golfe Persique et permet d'avoir l’œil sur l'ennemi russe dont la présence et le commerce avec les pays riverains importunait grandement l'Oncle Sam.
En échange, le cousin anglais obtiendra « un tarif réduit » sur l'achat de fusées Polaris. Tout ça pour le bien du « monde libre » !
Pour illustration, ce petit lopin s’étend sur 40 km² avec un immense et profond lagon à l’intérieur, capable d’accueillir porte-avions et sous-marins. Et comme nous sommes en pleine guerre froide… Un prétexte valant bien un autre !
Avant que la peste impérialiste — fléau qu'on justifie, mais qui n'a aucune excuse —, ne fasse irruption en cette partie du monde, les chagossiens vivaient d'une économie de subsistance. À l'opposé de l'idéologie économique occidentale, chaque membre reçoit la même ration de nourriture, entretenant par le fait l'héritage d'une culture dans laquelle l'humain en était le centre. Quel mal faisaient-ils à l’humanité ?
Puis vint le jour, dans la décade 60-70, où des étrangers débarquèrent, s'installèrent en seigneurs et maîtres et trois petits voyages plus loin, les valeurs qui avaient fondé la communauté se perdirent dans le sabir elliptique des discours dominants.
En effet, trois voyages ont suffi, entre 1971 et 1973, pour vider Diego García de ses occupants, environ deux mille habitants, la plupart descendants d’esclaves.
Trois petites rotations de cargo, pour que ces « ilois, comme on les surnomme avec mépris », soient largués à Maurice, qui vient d'obtenir l’indépendance, ou aux Seychelles.
« Un jour pas comme les autres, des hommes en uniforme sont venus, ont massé les habitants au centre de l'île et ont dit : prenez vos affaires, dare-dare, vous partez. Tout de suite. On vous amène en croisière. Ouste ! ».
Des années durant, des années plus tard, toujours et à jamais, une question obsède les chagossiens sans que la moindre réponse vienne les soulager.
Le pire ennemi n'est-il pas le silence ?…
C'est au son du makalapo* et par les voix de Charlesia et de Désiré, à qui Shanez Patel prête sa plume, sous le regard abstrait du gardien du port, que nous découvrirons, non pas l'histoire détaillée des personnages comme dans un récit linéaire, mais la part d'émotion, de violence, de douleur et de non-dits qui est la marque de plaies non cicatrisées. C’est certes moins spectaculaire que celle d'un coup de machette ou des éclats de mitraille dans la chair, mais bien plus brutale, parce qu'elle est sans remède. L'exilé est un naufragé du passé privé d'avenir. L'âme à vif, « au nom toujours écorché, il est une plante dépourvue de racines ».
Dans ce roman, paru en 2005, aux éditions de l'Olivier, Shanez Patel quitte le sentier aride du reportage « coup de poing » pour nous offrir ce que l'écriture a de puissant, de vrai, d'humain et de merveilleusement extraordinaire, la poésie. Elle nous révèle le silence insupportable de l’oubli et le plaisir à emprunter les chemins de traverse d’une mémoire jamais perdue. Un voyage au centre de nous-mêmes.
On dit que l’été est la période idéale pour lire, comprendre et s’enrichir… Pour moi c’était une relecture.
*instrument fabriqué à partir de fûts blancs qu'on enterre en laissant dépasser un bâton souple planté au milieu, courbé à l'aide d'un fil de fer vibrant, de façon que, quand on le pince, il produit un son sourd. À la fin du jour, on le désaccorde, sinon, la nuit, les esprits viennent en jouer et c'est signe de mauvais présage…
Sous l’Casque d’Erby
Le bonjour. Ce livre me fut offert il y a une vingtaine d’années par le regretté Rémi, érudit, militant et cabochard jusqu’au bout des ongles. Il avait adjoint la critique papier (excellente) que le journal « Le Monde » version papier lui avait consacré sous la plume de madame Sarah Tisseyre. Il avait dessiné au crayon papier une carte afin de situer l’emplacement de l’atoll de Diego García. Je me suis alors souvenu que son vrai métier était cartographe… C’était la séquence nostalgie, veuillez pardonner.
RépondreSupprimerSalut Rodo. Qu'on le veuille ou non, notre ami Rémi* ressort toujours de la mémoire, tant sa vie fut plus que digne d'un roman. Il m'arrive de relire "Le Piège", et ça me fait quelque chose quand il reparle de sa fille Juliette, avec qui j'ai eu l'occasion de parler le jour des obsèques. Ainsi que de sa petite sœur, chantée par Claude François : cette dame, ayant dépassé largement les 60 ans, était toujours aussi belle !
RépondreSupprimerDommage qu'effectivement, surtout vers la fin il eût été "un peu" cabochard, surtout quand à notre avis il se trompait.
Quant aux Chagos, je serais si heureux que l'Anglosaxonnerie lâche prise, et rende leur paradis à ses habitants chassés avec la morgue soulignée dans l'ouvrage de Francis de Croisset à propos de l'Inde.
Bonjour !
RépondreSupprimer" Un voyage au centre de nous-mêmes"... L'ai-je vraiment déjà fait... sans l'aide de Shanez Patel ? je ne sais...mais d'autres chemins m'y ont amenée...
Ici refus de l'image...que vous découvrirez en ouvrant le lien ;-)
"Mmmmoui. Je vois. Et cette canicule. Elle vous parle ? Elle vous dit des choses ? Qu'est ce qu'elle vous dit ?"
https://t.me/aubontouite_francais/6515
Oma
Ben... quand la pluie s'arrête, c'est bien. Mais j'ai déjà connu. Entre autres quand, alors que j'avais 14 ans, il fallait le soir quand le tracteur que je conduisais était arrêté, il fallait retourner une par une les gerbes de blé pour qu'elles sèchent, et recommencer le lendemain.
SupprimerA l'époque on faisait les moissons (moissonneuse-lieuse) en imperméable. Sauf s'il pleuvait vraiment trop fort. Ce n'était que les aléas du climat qu'on a toujours connus.
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Le reste : DE LA PUB !
Le bonjour Jean-Claude. Temps pluvieux, très pluvieux par ici. Des pluies régulières et abondantes. La vente de cirés jaunes et bottes Aigle est en plein essor. Quand on longe les champs, on voit l’eau stagner à la surface. Saturation. Avec ça des températures moites. En fait, la meilleur météo demeure le visu, pas la télé ni aucun autre média… Où l’on commence à parler de « confinement climatique » ! Pourquoi ne pas dire dictature tout court, parce que nous y sommes !
SupprimerBonjour Oma. J’aime beaucoup la présence de « Aubontouite » sur les réseaux. Beaucoup de pugnacité et de l’à-propos…
SupprimerJ’aime les livres courts, parce qu’ils ne nous accablent pas des lourdeurs des pensums qui se veulent « complets » alors qu’ils ne sont que lourds, à lire et à porter. Ce n’est pas le cas de Shenaz Patel. A propos de concision, je parcourais ce matin de bonne heure du Christian Bobin, un maître de la poésie et de la synthèse. Comme je sais que tu aimes (beaucoup), voici une citation qui nous va comme un gant :
« Il n’y a pas de plus grande joie que de connaître quelqu’un qui voit le même monde que nous. C’est apprendre que l’on n’était pas fou. »
La Bise.
Très juste comme toujours, cette citation de Christian Bobin......
SupprimerAh oui, bien sûr c'était JC....
RépondreSupprimerComme toujours, un immense plaisir à te lire....Plus juste encore ce jour...et l'émotion si finement traduite par Bobin...près de qui nous sommes...ensemble... Bizzz
RépondreSupprimerSalut tout le monde ce jeudi matin. Ouf ! Je suis allé faire des courses, l'aller sous le soleil, le retour aussi, mais pendant que j'étais à la caisse il tombait des cordes ! Bof, il paraît que cet après-midi ce sera pire, avec des températures qui auront du mal à dépasser 20°. On a déjà connu ça dans le passé, il n'y a même pas de changement climatique.
RépondreSupprimerAu fait, Oma, pour lire "Le Piège", oui oui oui c'est là :
https://ti1ca.com/rwj3tf3h-le-Piege-le-Piege.zip.html