Notes 1-
sur cette illustration : Je fus à une époque
piéton-photographe à Genève, pas spécialement des beaux quartiers
photogéniques, mais de son immense zone urbaine, où fleurissent des
tags poétiques et contestataires de ce genre. Ici, devant ce mur
perdu mais ainsi tagué, je pus saisir l'instant où passait un rare
couple, celui-ci banalement soucieux. Et peut-être se posant la
question « l'amour ou l'argent ? »... à peine moins
brutale que «la bourse ou la vie ? »
2- sur
ce billet : Peu à peu, le jeu enfantin de « l'attaque
de la diligence, la bourse ou la vie ? » cesse lorsque,
grandissant, la question devient « l'amour ou l'argent ? »,
valeurs qui dominent nos vies, insidieusement. Voici, suite à mon
billet sur l'école, quelques réflexions et anecdotes
sur l'adolescence :
* « Nul
n'entre ici s'il n'est géomètre »*
Je devais
avoir environ douze ans lorsque mon père, au vu de mon carnet de
notes, me fit donner des cours particuliers d'arithmétique.
Christophopoulos, « mon maître » dit Tofo, était un
jovial artisan-menuisier grec barbu qui me recevait dans son atelier
à la porte duquel était écrit (en grec ancien) « nul n'entre
ici s'il n'est géomètre », signé Platon et repris par
Archimède. Tofo m'expliqua la devise, m'apprit que beaucoup de
savants-philosophes grecs avaient vécu en Égypte (mot grec
signifiant pays chaud) et que l'actuelle « vis d'Archimède »
montait depuis l'Antiquité l'eau des canaux d'eau du Nil pour
irriguer le delta fertile - et avant Archimède, déjà !.
Première
leçon, suivie d'autres tout aussi ouvertes sur une culture générale
bien concrète, localisée. Il estimait d'ailleurs que j'étais bon
en arithmétique, malgré l'avis de mes médiocres instits, que je
chahutais donc avec raisons...
Tofo me
permettait surtout de le regarder sagement travailler le bois, créer,
et c'était passionnant. Je m'imprégnais de l'odeur, du bruit de
l'atelier, apprenais à toucher le bois, le respecter, l'aimer, à
prendre grand soin du bon outil qui prolonge la main habile : je
constatais combien ce manuel était aussi un intellectuel, un
géomètre, un artiste : un œuvrier... : il
m'expliqua simplement que le manuel se sert de sa tête, d'abord,
pour bien mouvoir ses mains.
Je revécus
cela dans ma vie d'ateliers, imprimeur ou métallo et surtout lorsque
je me reconvertis en charpentier, retrouvant l'émouvant travail sur
le bois - ce qui raviva ce souvenir englouti de Tofo...
Autre
souvenir lié au bon Tofo. Son atelier, en quartier populaire
d'Ismaïla d'Égypte, était tout proche de la seule librairie,
multilingues, de la ville. J'y découvris une façon d'être mieux
que polyglotte : la photo. En l’occurrence de pauvres photos
de pin-up en couleurs. Amusé de me voir revenir à ce seul rayon, le
libraire esseulé me glissa un jour un tabouret pour accéder au
rayon des « grands », devant des publications en noir et
blanc, mais cette fois porno-érotiques, de femmes nues et lascives.
Ce ne devait pas être très artistique, mais bien excitant pour un
tout juste adolescent !
Peu à peu
mes visites à Tofo et à la librairie cessèrent. Et très
brusquement pour la clientèle des permissionnaires britanniques de
ces photos : en janvier 52, comme déjà relaté,
les Anglais bombardèrent Ismaïlia et mon ami Mahmoud en mourut.
J'en devins sombre, secret. Malgré les yeux doux de mes premières
copines-coquines...
*
Puis, en 53
ce fut la France et la pension. La punition, mais avec retours
vacanciers vers mes amours d’Égypte, jusque septembre 56 (départ
définitif dû à la « Crise de Suez »). Mais au travers
de ces 4 années d'adolescent contrarié, en France loin de son
univers familier et familial, « le pli était pris » :
l'école de la liberté, forcément moins buissonnière, continuait.
Prenant par exemple les sentiers de la poésie avec un autre exilé,
l'ami Phan, venu de Saïgon. Ou les routes de l'auto-stop d'entre
Amiens et Paris pour les visites à mes correspondants, aux petites
vacances : l'argent ainsi économisé sur le train arrondissait
mon premier et pingre premier argent-de-poche et, sur « les
grands boulevards », je découvrais ainsi le cinéma. Plus,
parfois, en librairie, des poètes et des publications osés,
marginaux. Et il y eut surtout, en joyeuses ruptures avec le
pensionnat masculin, de brèves et belles petites amourettes !
* « les
ados »*
Il me
souvient qu'à mes 14 ans je me crus adulte et qu'à mes 24 ans on me
fit admettre que j'étais un enfant : ce fut à peu près ma
longue période d'adolescence, qui est pour d'autres bien plus courte
et précoce. C'est la période si complexe et riche de la naissance
de la capacité sexuelle et de tous les phénomènes, si importants,
qui y sont liés - que je n'aborde pas ici. Sinon pour énumérer
quelques comportements sociaux « d'ados » :
arrogance bravache ou au contraire repli dépressif ; pratiques
d'un argot et d'un humour farouches qui isolent entre eux seuls bien
des ados, méprisants « petits » et « vieux »...
de plus de 20 ans(!) ; hédonisme exacerbé et souvent
contrarié, soit par leur mise sur le « marché du travail »
(dont « le noir »), soit par le « travail
scolaire » (dont l'affreux « bachotage »)...
etc. ! : telle est du moins l'image que me renvoie en
général les adolescents que j'observe aujourd'hui dans la cité. Je
me dois de compléter : j'ai aussi d'excellents rapports - mais
brefs et de mon initiative - avec des adolescents - et souvent des
filles.
Et puis, il
existe aussi et toujours le meilleur - malgré ce que l'on dit de
l'abrutissement des gadgets de la modernité -, qui est l'audacieuse
fougue avec laquelle s'engagent de tout jeunes gens pour une cause.
Soit parce qu'elle concerne l'un d'eux (victime par exemple du zèle
policier envers de jeunes « bronzés »...) soit pour une
raison plus générale de société. Là, les partis politiques
draguent « leurs jeunes », et tout azimut. Mais mieux,
lorsqu'un mouvement social spontané se crée, comme « les
indignés », la toute-jeunesse accoure. C'est elle qui fit la
force, par exemple, du « printemps arabe » en Tunisie et
en Égypte - et sûrement bien ailleurs et autrefois (Mai 68...). Et
puis, enfin, parfois, un grand et tout jeune talent ose tout et
perce, s'impose vite, malgré la jungle des pouvoirs, par exemple
malgré le show-business pour un artiste débutant. Ou dans tout
autre domaine d'ailleurs.
*L'entrée dans l'âge adulte*
Quand on
est jeune, l'on n'a pas - sauf exception - encore bien conscience de
la barrière d'entre classes sociales et l'on a (abusivement) parlé
de « classe jeune », parce que les jeunes sont souvent
joyeusement solidaires contre « les vieux ». Et c'est
souvent très justifié, face aux tristes adultes stupidement
anti-jeunes, « ces excités, trublions, malpolis, finalement
incontrôlables ». Par exemple les jeunes chômeurs face à
la vieille CGT, ou les lycéens ou étudiants face à l'autorité des
castes professorale, politique...
L'adolescence
est couramment qualifiée d'âge des grandes aspirations et des
grandes révoltes. Ce qui induit d'une part de l'indulgence
paternaliste envers « ces gosses » et d'autre part,
surtout, qu'ensuite l'on « guérirait de cette folie de ne pas
se soumettre à l'ordre des choses bien établies ». Or il n'en
est rien. D'abord, tous les ados ne sont pas idéalistes ou révoltés,
ensuite beaucoup d'adultes - quelque ait été leur adolescence -
restent ou deviennent insoumis à cet ordre, cherchant à le
renverser d'une façon ou d'une autre, etc. Avec à la fois leur
maturité et la marque de leur jeunesse, soit en continuité d'esprit
de révolte, soit en auto-critique d'avoir été jeune con trop
docile... : oui, la jeunesse marque toute la vie, et l'on moque
gentiment des gens comme moi d'être de vieux-gosses, ce que je
prends pour un compliment. Mieux vaut être « vieux-encore-jeune
et insoumis » que « jeune-déjà-vieux et soumis »...
Car la
révolution est bien la jeunesse du monde, à créer, et par toutes
générations !
Note - Deux
ouvrages assez récents, pour les lecteurs qui voudraient aller plus
loin :
- de Boris
Cyrulnik, Un merveilleux
malheur (Odile Jacob, 1999, 8,90€), pour qui la
résilience désigne la capacité à réussir en dépit de
l'adversité, dès la merveilleuse enfance, même contrariée.
- de Michel
Serres, petite Poussette
(Le Pommier, 2012, 9,50€), pour qui le monde a tellement changé
que les jeunes doivent tout réinventer : une manière de vivre
ensemble, des institutions, une manière d'être et de connaître.
Sous l'casque d'Erby
Ah les jeunes ! C'est de toi que je parle, Rémi, bien entendu. Tellement plus jeune que des trentenaires que je connais ! Tellement plus imprévisible, plus capable d'enthousiasmes !
RépondreSupprimerMerci jeune homme..
SupprimerMerci lediazec d'avoir déjà publié ce billet, envoyé hier soir seulement.
RépondreSupprimerJe te signale une petite erreur pour le lien "école buissonnière" : ce n'est pas sur "cette illustration" (1°ligne) qu'il faut le mettre, mais bien plus loin, vers la fin de la première partie du texte, sur le mot RELATÉ, mis en gras et souligné (avant-dernier § de cette 1° partie : "nul n'entre ici s'il n'est géomètre). Merci de rectifier, bonne journée...
Bonjour les caillasseux. Il y a un terme pour désigner les personnes qui, comme Rémi, restent attentifs à la vie sans rien perdre de leur enthousiasme de jeunesse : adulescent. Je trouve qu'il définit fort bien la personnalité de notre contributeur nazairien.
RépondreSupprimerAutre chose. Même si elle n'est que symbolique, elle donne matière à se réjouir un brin : Dix jours après la Suède, les parlementaires du Royaume-Uni ont adopté par 274 voix contre 12, lundi soir, une motion appelant le gouvernement britannique à «reconnaître un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël» comme une «contribution pour assurer une solution négociée consacrant deux États» dans cette région. Vote qui ne changera rien dans l’immédiat puisqu’il revêt un caractère purement symbolique puisque le gouvernement de David Cameron ne sera pas contraint de s’y conformer... Mais bon, le geste est là !
Merci du lien en place. Je ne suis pas sûr de bien comprendre le néologisme "adulescent" , j'aurais mieux admis "adultlescent" (pas joli, mais évitant la proximité avec "aduler", hors propos). M'enfin, comme dit l'autre, si ça te fait plaisir, va pour l'adulescent !!...
SupprimerL'important est bien dans cette nouvelle d'adoption de la reconnaissance de la Palestine comme État, par un vote proche de l'unanimité du parlement britannique. "Ce geste est là": il faudra bien qu'il passe du symbolique au concret, au plus tôt !!
Pour rappel, l'Empire Britannique a concrètement créé l'amorce de l'État Palestinien il y a presque un siècle, en 1917 : "le mandat" (auto-)octroyé sur la Palestine avait pour but officiel la préparation à l'Indépendance de cet État. Et, détournement scandaleux de cette mission, ce mandat a préparé la naissance d'Israël en 48 !
Telle fut la "perfide Albion", dont j'ai vécu, enfant au canal de Suez tout proche, les premiers soubresauts de la colère populaire des Arabes floués...
Que le grand fils américain du club anglo-saxon de "l'Empire" fasse pire que son papa londonien, n'est pas étonnant : à l'école de la perfidie, on peut devenir brutal, odieux, surtout si l'on est richissime !
Ceci dit, je n'oublie pas de constater que notre "Doulce France" n'a pas fait mieux, dans ses errements coloniaux (dont "mandat" sur la Syrie et le Liban) et qu'elle continue de faire ses cocoricos guerriers erratiques actuels...
J'ai retrouvé ce vieux poème égaré, que je cherche depuis 3 jours !
SupprimerL'amour ou l'argent ?
Voir Genève :
Cinq ans y errer, y rire et y pleurer
Genève comme glande lacrymale de cet œil
Le Léman, du vieux cyclope Europe !
Aujourd'hui genevois devenant
Suisse, celui d'hier et demain
me voici devenu japono-arabe polyglotte
et resté frontalier-touriste-et-réfugié !
Voyeur ! Et parfois dévoyé et parfois
« propre et en ordre ». Toujours hagard
bien tendrement. Ce que j'ai vu ?...
Ô misères, ô misérables...
Ô charitables bondieuseries opulentes !
Tristes sont les banquiers, les secrets et
l'or. Les briques, elles, les sacs de plâtre, eux
sont lourds aux reins des laborieux, ceux
que flics et chômeurs regardent durement.
J'ai vu la richesse du rire d'un italien
faisant de ses couleurs chanter un mur gris.
Et la richesse de cœur de squatters
s'exprimant au « spray », cette bombe
aux grands éclats d'humeur et d'humour !
« l'amour ou l'argent ? » crie un parking paumé...
Voir Genève :
cinq ans y vivre et y survivre à pied, fauché.
Oser s'y user les souliers, pas les regards.
Oser s'en éloigner un peu, beaucoup, pour y
revenir passionnément, toujours. (…)
Genève dialogue Nord-Sud-Est-Ouest et puis
ailleurs. Des diagonales d'espace-temps ?...
J'ai mes Genève-intimes, mes jeunes Ève.
Ma Genève-Celte de par la grâce de mes amours
d'avec la Bretagne, via le « Rhône-Océan ».
Ma Genève-Berlin, parce que ce sont des îles
et Malte-Genève-Malte via la Sicile !
Retour à « l'Auberge Sarde » de Carouge, vers
Genève-Genève à découvrir toujours :
« Santé ! Comment va le pavé ? Et le tram 12 ? »
« Et la Genève truquée de la guerre et la paix ? »
Voici que s'en mêlent une jeune soviétique
fille de diplomate, et une pro-afghane, belles !
On trinque entre artistes : on fait la paix !
Un musicien carougeois et un triste libanais
saluent la compagnie, bras-dessus, bras-dessous :
Ils ont projet d'aller demain dans les rues, chanter...
inviter au bonheur...
qui est là, tout près, si jamais...
Celui-là, je l'ai toujours en version papier, publié par les soins de Vives-Eaux à Bréhat, version bleue, en 1984 !!!
Supprimer1984, EXACT, Rodolphe ! (si j'avais su que tu es mon archiviste, je t'aurais demandé copie !)
SupprimerD'ailleurs j'ai retouché cette version sur un détail : j'ai mis 4 ans au lieu de 2, puisque je suis resté à Genève jusqu'en 1986...
Tiens, j'ai mis 5 ans au lieu de 4, dans la version ci-dessus : ce doit être la part du rêve... OK, je sors...faire dodo et rêver !
SupprimerPuisqu'il n'y a toujours pas de nouveau billet ce 17 octobre 2014, je rappelle qu'il y a 53 ans - hier!! - c'était le massacre raciste anti-algérien en PLEIN PARIS du 17/10/1961... Notre ami Erwan des "Cénobites Tranquilles" y consacre, avec son style talentueux, l'essentiel de son billet.
SupprimerA cette date, j'étais convalescent d'une grave crise de paludisme, contracté lors de mes séjours d'été 59 et 60 comme étudiant-stagiaire en Algérie en guerre (à 20 et 21 ans). Cela mit fin à mon adolescence pour entrer, très perturbé (physiquement et surtout psychologiquement) dans l'âge "adulte" de fin de sursis donc "bon pour l'armée". Mon médecin avait pensé que je serai réformé du fait du paludisme. Le médecin militaire du conseil de révision en avait rigolé : Le palu? Bof, tu verras ça chez plein de bons sous-off alcooliques de notre vaillante armée en Algérie !! : tu es "BON" pour le service !
Ouf, le rapport des RG ou autre m'ayant fiché "proche du FLN", je fus d'abord envoyé en Allemagne, puis en Algérie... après le cessez-le-feu de mars 62, ce qui me donna l'occasion de VOIR l'allégresse du peuple algérien à son indépendance de juillet... Un des plus émouvant jours de ma vie.
Libéré fin 62 après 2 ANS d'armée, ce n'est qu'en 1964 que j'entendis parler, VAGUEMENT, du 17 octobre 61 parisien...: pour des faits "dérangeants", la CHAPE de PLOMB imposé par les pouvoirs sur les médias ne date pas d'aujourd'hui !! C'est aussi une leçon de cet épisode tragique de notre histoire barbare...
Si, si, Rémi, il y a un nouveau billet !...
SupprimerJe me suis un peu emmêlé les pinceaux quant aux dates : c'est fin 60 que je suis parti à l'armée, et j'étais donc en Allemagne le 17/10/61. Cela ne change rien à l'essentiel de la confidence de ce vécu et à sa conclusion : A bas l'armée et le pouvoir étatique raciste !
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