jeudi 21 novembre 2013

Albert Londres, l'exemple

Une librairie c'est comme le Net : on s'y rend pour se procurer un ouvrage, on repart avec d'autres. C'est ainsi qu'allant chercher un Henri Calet, qui tardait à franchir les barrages routiers, je découvrais dans la collection Arléa, diffusion Seuil, une série de petits bouquins fort bien présentés d'Albert Londres. Ceux-ci ne représentant qu'une petite partie de l'œuvre complète publiée dans cette même collection en 2008.
Mon colis sous l'bras, je le déposais sur une pile à laquelle sont venus s'ajouter d'autres ouvrages. C'est en faisant du rangement - en changeant la pile de place, devrais-je dire - que Londres est sorti de la brume où je l'avais enfoui.
Homme de santé fragile, mais à l'énergie farouche, Albert Londres est né à Vichy en 1884 et mort dans l'incendie d'un bateau qui le ramenait de Chine en 1932, à l'âge de 48 ans. Entre ces deux dates, il s'était forgé un caractère et donné au journalisme ses lettres de noblesse.
De voyage en voyage, Albert Londres a dessiné les contours d'une géographie mentale avec la curiosité pour viatique et la justice pour obsession. De reportage en reportage, il a façonné des chemins impraticables, jeté des ponts d'une rive à l'autre pour que, dans sa diversité, l'homme découvre ce qui l'unit ou le sépare, en bien ou en mal.

Forçats de la route

Dans ce reportage de 1924, c'est le Tour de France cycliste qu'il met en lumière. Le moment est héroïque et le journaliste, tel un conteur halluciné, nous donne de l'exploit, de la souffrance, des drames qui l'émaillent, une photographie d'un naturalisme époustouflant que le Musée de la littérature sportive affiche avec fierté comme référence et que les nantis exploitent pour leur seul profit (exemple, la récupération politique de l'équipe de France qualifiée pour le Brésil face à l'Ukraine ).
En passant, villes, villages et habitants sont décrits d'un trait génial. A un cycliste au ravitaillement, un monsieur plein de sollicitude : « Vous avez le temps, trois minutes… » Le cycliste : « Non, monsieur le notaire, ce n'est pas que je sois pressé, mais mon masseur m'attend à deux cents kilomètres d'ici pour me remettre le cœur en place, alors, vous comprenez… »
La réplique est à mettre au crédit de Jean Alavoine.

Dans la Russie des Soviets
Albert Londres est le premier journaliste occidental à se rendre, en 1920, au prix d'un voyage kafkaïen, au cœur de la République des soviets, à Petrograd, aujourd'hui Saint-Pétersbourg. Sans fioritures, il nous rapporte ce qu'il voit, ce qu'il entend. Il nous donne à sentir – déjà ! – la mesure de sa terreur devant le spectacle qu'il découvre. L'homme tel qu'il sera tant que durera ce « paradis » pour lequel ont bandé des légions d'imbéciles manipulés : un chien. Prémonitoire, Albert Londres écrit ceci à propos du bolchevisme : « l'acte fondamental de leur doctrine est l'antiparlementarisme… » Un peu plus loin, il chasse le clou avant bouchage de la trace : « le bolchevisme n'est pas l'anarchie, c'est la monarchie, la monarchie absolue, seulement le monarque, au lieu de s'appeler Louis XIV ou Nicolas II, se nomme Prolétariat 1er. »
Si ce changement d'appellation ne vous suggère rien le docteur ne peut rien pour vous...

L'Homme qui s'évada
Magnifique récit sur la vie d'Eugène Dieudonné, jeune ébéniste, militant anarchiste, homme de bien, condamné comme complice de la bande à Bonnot, alors qu'il n'a rien à voir avec elle. Seulement la justice française, jamais avare d'une injustice, ne l'entendant pas de cette oreille, l'expédie aux îles du Salut. De son arrivée à son évasion tout est conté au fil du rasoir. Un livre qui se lit comme un roman et se crache comme on crache sa haine à la face d'une justice de classe. Des hommes qui perdu jusqu'au souvenir de leur nature, tant les conditions de parcage sont hideuses. Albert Londres donna beaucoup de sa personne pour rapatrier Dieudonné en 1927, avec, disons-le, le concours actif de la justice brésilienne, persuadée que le forçat évadé avait été victime d'une injustice. Comme toujours, la France fut dernière à innocenter l'innocent qu'elle avait envoyer en enfer ! Sans même un mot d'excuse de la part de grande institution, Dieudonné pouvant s'estimer heureux qu'elle consente à descendre de son piédestal pour le « blanchir ».

Terre d'ébène

De loin le plus dense de ces quatre reportages. Embarqué pour un périple de quatre mois qui le conduira au Sénégal, au Niger, en Haute-Volta (Burkina-Faso), la Côte d'Ivoire, c'est un Albert Londres révolté qui se dresse sur le chemin du colonialisme. Sans concession. Le ton est cassant. Avec objectivité et colère, il dénonce, fustige et condamne une politique d'où la France et sa grandeur ne sortent pas grandies. Encore une fois, le reporter, fera honneur à sa devise : « Je demeure convaincu qu'un journaliste n'est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »
Ce reportage lui valut quelques solides inimitiés et autant de menaces de la part des forces conservatrices du sabre et du goupillon.

Collection Arléa - diffusion Seuil - prix du volume entre 7 et 8€

Sous l'casque d'Erby


7 commentaires:

  1. Bonjour les caillounautes. Temps insupportables.
    Marre de la politique, de sa grossièreté, de sa nullité. Alors quoi de mieux qu'un livre pour quitter tant de scorie, pour se laver l'esprit des impuretés du présent.
    Bonne journée à tous.

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  2. Salut l'immense Rodolphe, salut tout le monde. De ce monde je n'entends que les croa de mon copain Corbi, là-haut dans l'arbre qui surplombe le tram. Le vent est tombé, ce régime pas encore. Monsieur Albert Londres ne saurait, lui, sortir de nos mémoires tant son œuvre est la mémoire même.

    Debout, le Monde !

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  3. Lis tes ratures font mieux que force ni que rage

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    1. Lits et ratures ? OK, je me recouche..... Bonne journée M art'IN !

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  4. Envie d'une petite salade ? Ici elle est agrémentée que c'est un délice :
    Raiponce pour un champion…

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  5. Beau billet sur Albert Londres, merci !
    Voilà qui dépoussière la crasse qui consiste à faire de ce VRAI journaliste un simple nom de prix censé saluer tel ou tel reportage de journaliste d'aujourd'hui... mais souvent indigne de ce modèle, sauf exception!
    Autrement dit, c'est de la vulgaire récup'... phénomène bien connu...

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  6. Rien à voir directement avec le sujet sinon que les "Albert Londres d'aujourd'hui" s'expriment sur la toile, tel Fabrice Nicolino, qui fut viré de Politis parce que "trop-écolo-indépendant"... Via son blog "Planète sans Visa" (voir barre latérale) il y a un billet du 18 novembre sur Anne Lauvergeon, excellent ! Et dans les commentaires j'ai trouvé cette perle à ne pas manquer : un lien au blog penelope-jolicoeur.com daté aussi du 18 nov. Sur un billet en b-d pédagogique et beau, contre la sur-pêche au chalut en eaux profondes, un SCANDALE écologique majeur... Cela relaye la grande campagne lancée par Bloom sur le sujet, avec pétition à Hollande à signer.
    Je l'ai fait : l'objectif est 600.000 signatures, il y en a plus de 300.000, on peut y arriver mais ça URGE !

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