Source image |
Il n'y a ni
statue ni statut pour Madame l'Intellectuelle ni pour Monsieur
l'Intellectuel. Non, l'intellectuel n'est pas d'une catégorie
socioprofessionnelle, mais de toutes : l'ouvrier comme le
paysan, l'artisan, le commerçant, l'employé (ou chômeur) de tout
secteur est d'abord un intellectuel : sa tête, d'abord, pense
l'habile geste manuel à faire. Combien d'« accidents du
travail » sont-ils dû aux si cruelles incitations au « sacré
rendement » ? - celui qui pousse au geste « machinal »,
donc maladroit, ne serait-ce que par fatigue, stupidité d'une tâche
à accomplir trop vite...
Si je crois
nécessaire de consacrer ici un billet sur « l'Intello »,
c'est bien sûr qu'il prétend (pas toujours!) à un statut social,
élitaire, en tant que tel. Or tout dépend de l'œuvre faite, de son
apport positif ou pas au débat social, de son apport ou pas à la
capacité sociale de renverser l'ordre-du-fric si inégalitaire et
aliénant. Il importe de penser dans le flux du vivant, dans l'essor
de la liberté individuelle. Et dans la vague du mouvement social
concret, non dans le vague d'idées abstraites et absconses, où se
complaire et polémiquer...
J'ai déjà
évoqué, précédemment, divers apports positifs, intellectuels, ne
serait-ce que parmi les marginaux. Il y en a beaucoup parmi les
chercheurs scientifiques, les savants : l'apport, par exemple,
d'Élisée Reclus au débat des anarchistes de son temps. Bien
d'autres débats d'entre amis et célébrités opposèrent hier,
cultures bourgeoise et prolétarienne :
Jean-Paul
Sartre a très longuement disserté sur « Les chemins de la
liberté » qui s'ouvriraient à chacun, intellectuellement (je
n'ai pas tout lu de ce pavé de romans didactiques!). Réputé moins
cultivé, son (pseudo) « rival » et cadet Albert Camus
(que j'ai plus lu) a beaucoup écrit, lui, sur d'autres destins,
absurdes, tragiques et libertaires : reflets de son vécu
douloureux, audacieux, talentueux, du gosse d'une famille très
pauvre d'Alger à sa gloire littéraire. En périodes très troublées
(guerres de 39-45 puis, bien pire pour lui, d'Algérie).
En
parallèle, Karl Marx avait lui aussi en son temps - plus utilement
que Sartre ! - cherché, puis savamment décortiqué le capitalisme.
Polémiquant ensuite avec son « rival » Proudhon, méprisé
pour sa moindre culture livresque. Il y avait surtout projets sociaux
divergents. Vers le communisme (collectivisme imposé
verticalement du Parti « savant » sur le peuple
« ignorant ») pour Marx. Ou vers l'anarchie (à
construire horizontalement par le peuple inventif) pour Proudhon,
issu du peuple. Dans les cas Sartre/Camus comme Marx/Proudhon il y a
conflit entre culture bourgeoise, d'universitaires courageux devenant
théoriciens anti-bourgeois - c'est bien ! - et culture
prolétarienne d'individus arrivant à compléter leurs solides
connaissances de terrain par certains livres utiles - c'est
mieux ! J'ai toujours connu ce type d'oppositions entre
deux sources de savoirs, schématisé par le savoir manuel, concret
et réputé « humble », et le savoir lettré, spéculatif,
réputé « maître ». Et, à propos de Camus et de tant
d'autres, j'aime ce talent lyrique, d'artiste, qui vient du peuple et
ajoute tant à la lisibilité du texte, donc à son utilité sociale,
libertaire.
*
Rappel :
9 novembre1989 - chute du mur de la honte de Berlin ; 29
janvier 2002 - George
W. Bush déclare qu'Irak, Iran et Corée du Nord forment « axe
du mal ». Entre ces deux dates si proches, le capitalisme se
croit triomphant.
Dès avant
et bien après - aujourd'hui compris - ces dates, simples repères,
s'agitent des larbins pseudo-intellos vaniteux. Pour eux, c'est la
« fin de l'Histoire, l'extinction de la lutte des classes, il
n'y a pas d'autre alternative (TINA), les « Économistes »
(voir note) régulent le meilleur des mondes : liberté des
capitaux et marchandises, mais gros contrôles des peuples, et de
leurs migrations. La noble armée US se chargeant de « libérer
de l'Axe du Mal les peuples encore sans accès à la démocratie
de l'Axe du Bien »...: charabias de propagande !
Un abîme
sépare désormais ces parasites de « l'élite-intello-médiatique »
des vrais intellectuels. Qui sont légion, mais seulement mis au
placard. Grâce au renouveau du mouvement social contestataire, ils
en sortent, de plus en plus. Via par exemple trouvailles
pédagogiques, telles les « conférences gesticulées »
et autres astuces. Alliant théâtre, vidéos, animations graphiques,
chansons, etc. à l'information réfléchie, citoyenne. Ce sont
toutes sortes d'humbles chercheurs-du-vrai (philosophes,
journalistes, socio-économistes, scientifiques, actifs citoyens
éveillés, etc.) : apports nécessaires au clair débat
œuvrier, « de fond ». C'est, là, démarche féconde,
très opposée aux « experts invités des plateaux »,
et très étrangère aux propagandes électoralistes si démagogiques.
Et inutile de citer ici des noms de « faux ou vrais »
intellectuels : à chacun son choix !...
-
Note
sur « les Économistes »
La
meute des « experts » économiques veut tenir le haut du
pavé médiatique, en faux savants. Mais grands propagandistes de
leur doctrine, néo-libérale ou pas, qui serait que « L'Économie »
dirige tout, société et politique. Ce n'est là qu'abus de langage
pour cacher la vérité : le profit maximum guide le capitaliste
et le capitalisme est dictature sur les peuples, via nombreux relais
privés (dont économistes-propagandistes) ou étatiques (outils
militaires, policiers, législatifs...). En réalité il n'existe QUE
la socio-économie ou économie sociale : la société humaine a
su vivre sans capitalisme et Dieu-Fric. Et saura revivre, libérée
de ce fléau : elle apprend à le faire dans d'innombrables
endroits avec d'innombrables talents. Dont ceux de vrais
intellectuels que sont les « économistes atterrés »
(par « L'Économie Officielle »), voir entre autres
l'équipe du savant bulletin « Sortir de l'économie ».
Sous l'casque d'Erby
Quel beau billet Rem*, en effet nombre d'intellos feraient bien de regarder près d'eux, ceux qui n'ont pas forcément les mots pour le dire (quoique!!) et dont les idées valent bien mieux que tous les discours des "bien pensant" comme on les cite, qui se cantonnent à compliquer leurs pensées et en faire des pages alors que quelques lignes suffisent !! Bref, les intellos de la vraie vie, ceux de la ZAD, les agriculteurs en colère,les mecs qui font la manche (Ah oui les marginaux !) les ouvriers de la SEITA et de toutes les entreprises qui ferment, et j'en passe ont bien plus à dire sur l'économie (la vraie) que tous les pissent-pages. Sur ce bonne journée à toutes et tous.
RépondreSupprimerMerci, VAL, de ton avis de VIP - pour "Véritable-Intellectuelle-par-la-Pratique" que tu es. Pas seulement par ta pratique artisanale et créative du crochet, mais dans tous domaines du "bricolage" de vivre libre dans cette société. Dont les maîtres paternalistes (patronat comme pater-familias...) méprisent la gente féminine, la voulant soumise... : continue ton combat, VAL, comme "VIGOUREUX APPEL LIBERTAIRE"...
SupprimerBonjour les caillasseux et... les caillasseuses. Non mais !
RépondreSupprimerBeau et bon billet de Rémi, dans la lignée des précédents et, sans doute, des suivants : un voyage à l'intérieur de ses convictions profondes.
Pour ma part, depuis toujours, j'ai montré beaucoup de réticence à l'égard de cette compétition sur des auteurs plus ou moins dans le vrai, plus ou moins dans le faux. Pour tout dire, je fuyais ce genre de yoyotage collectif entre "experts" en connaissance et en frime, d'où il ne sortait rien de bien bandant pour l'esprit... J'ai lu Sarte, j'ai aimé certains de ses livres et me suis emmerdé avec d'autres. J'ai lu Marx, très peu, mais suffisamment pour comprendre que son business n'avait rien de commun avec mézigue. J'ai lu Prud'hon et je garde le souvenir assez vague d'un certain plaisir...J'ai lu Bakounine, et là, je dois dire qu'il me causait beaucoup plus que les autres... J'ai lu Camus et, perso, lui aussi, je l'ai senti plus homme que bécane à cracher de la page pour cracher de la page. Par moments, le lisant, j'ai senti une onde fraternelle m'embarquer pour un voyage dont je rêve toujours...
Voilà mon avis de retardataire, ce qui est rarement le cas, mais ce matin j'étais surbooké !
à propos de book - J'ai enfin commencé lecture du tien... et "j'ai senti une onde fraternelle m'embarquer"... comment se fesse ?
SupprimerSalut la compagnie ! Jour pluvieux et juste un moment pour lire l'ami Rem*** !
RépondreSupprimerPour ma part, je n'ai pas lu Marx, mais Camus, ça oui ! Et Le mythe de Sisyphe avait révolutionné ma pensée, tout comme Bakounine. Un peu de Sartre, quand même son Huis Clos, c'est quelque chose ! Et puis, plein d'autres. Plein d'intellos, sans doute.
Tu veux pas donner quelques noms Rem* ? Allez, fais de la délation, on ne dira rien. (pas lu non plus ce misogyne de Prudhon...)
Ceci dit, je n'ai rien contre les intellos en général. Et je trouve que cette "catégorie" sociale est bien vague... De plus, dire qui est un bon et un mauvais intello me parait bien difficile et sans doute réducteur. Est-ce que, également, seul les intellos de bord libertaire et/ou révolutionnaire sont digne d'intérêt ? Et puis, certains que l'on juge à la pensée trop abstraite et trop éloignée du concret sont-ils réellement sans intérêt, à rejeter ? Sachant que le monde concret fonctionne souvent avec les idées qui le sous-tendent... Comme l'idée capitaliste par ex, et comme tu le dis bien... Faire le tri, c'est cela qui me semble compliqué.
Aujourd'hui, j'ai écouté JC Ameisen sur FC, ce midi, cet intello fabuleux conteur, et il disait qu'en effet, il ne faut pas laisser les seuls experts réfléchir et prendre des décisions notamment en ce qui concerne des questions cruciales comme le respect. Il est évidemment pour le débat social, mais pour pouvoir débattre, encore faut-il avoir quelques matières premières, et savoir aussi débattre. Ce que n'a pas une majeure partie de la population : les clés pour un débat social constructif (voire pour se révolter). Or, à ce jour, la culture générale manque cruellement. C'est ce que je constate depuis plusieurs années, et ce que je m'efforce de faire : transmettre une certaine culture générale à des post-bacs (limite illettrés), leur donner quelques éléments ou concepts socio/psycho/anthropo (pour parler avec des gros mots d'intellos) pour qu'ils puissent porter un regard "critique" mais argumenté sur le monde qui les entoure... Et y'a du pain sur la planche !
Merci Elly, de ton commentaire constructif.
SupprimerLes concepts socio/psycho/anthropo ne sont nullement, pour moi, des "gros mots d'intellos", mais des mots scientifiques précis ou presque! Je pense m'être mal exprimé sur ce que j'entends par l'intello dans le débat social. Il ne s'agit PAS DU TOUT de n'exprimer que des idées en rapport étroit avec une réalité immédiate, concrète! Les idées générales sont bienvenues, bien sûr : sur des thèmes comme Amour, Liberté, Justice etc. ou des thèmes larges comme Nature, Vie, Mort, Enfance, Création, Souffrance, Révolution, etc. que de débats intellectuels utiles, nécessaires et féconds à avoir...
J'écoute souvent JC Ameisen et je l'apprécie beaucoup, moi aussi : voilà le type de "vrai" intellectuel, d'immense culture scientifique et de talent à être bon pédagogue. A l'opposé du prétentieux "esprit supérieur" qui s'enferme dans son jargon en méprisant le "vil vulgarisateur scientifique qui s'abaisse à causer au peuple ignare" : Je pense là à des théoriciens anciens et actuels en "Économie" promue en Science-Absolue alors que ce n'est qu'un bricolage au service exclusif du Capitalisme... si lourdement concret : cf le lien de mon billet (en note finale).
Quant à ceux qui, sérieusement, méritent d'être "intellos entartés", tu veux quelques noms ? BHL, Finkelkraut, J.Attali... j'en oublie beaucoup et tant mieux...
J'ajoute enfin que -même si je reconnais avoir trop de lacunes en ce domaine-, je suis très attiré par la "philosophie orientale", pour le dire vite : vaste vaste domaine...
C’est pour cela que j’aime Jacques Rancière.
RépondreSupprimerIl dit que la pensée existe en tout le monde, qu’elle s’exprime de différentes manières suivant les parcours et les pliures que la vie occasionne.
Les idées se résument souvent bien simplement et c’est dans cette forme qu’elle ennuie le moins.
Le prolétariat n’existe plus, l’esclavage a pris place dans toutes les strates. Certains ont l’illusion du pouvoir de consommer plus pendant que d’autres les envie encore. Une poignée manipulent tous ce monde pour amasser plus que le voisin. Le challenge est coriace. D’autre part les petits patrons jadis prospèrent se suicident « http://www.wikistrike.com/2014/11/un-suicide-de-patron-de-pme-tous-les-deux-jours.html"
"13% des patrons aujourd'hui ne se paient pas, afin de laisser un maximum de ressources dans l'entreprise, donc aussi pour assurer les salaires des employés. On ne fait pas état ici des patrons qui se paient très peu, mais on peut se faire une idée si l'on prend les études qui font état de 30% des entreprises en France qui auraient des problèmes de trésorerie… C'est énorme.
Il faut mettre cette situation en regard du niveau de rémunération de ces patrons qui oscille autour de 2000€ par mois (moins quand on intègre les agriculteurs, eux aussi patrons) pour près de 70 heures par semaine (Amarok dirait 55 heures : le chiffre, tiré d’une étude Insee est contestable), ce qui est inférieur au Smic horaire… Ainsi, chaque difficulté, chaque mois est source d'un stress énorme pour le dirigeant qui se sait alors à la merci de son banquier ou des organismes sociaux."