Dans mon précédent
billet (Afrique 50), je rapprochais Vautier et Godard, cinéastes
''marginaux'' qui se sont tardivement connus, fraternellement, et
n'ont pas eu de divergences célèbres. D'une demie-génération plus
âgée, Sartre et Camus sont cette fois deux écrivains ''centraux''
(en textes entourés de marges), célèbres pour leurs œuvres
singulières... et pour leurs différents de 1952 qui fit couler des
tonnes d'encre tumultueuses à oublier. Mais dont il reste, à mes
yeux, une importante actualité ressurgie, rarement dite. Rém*
*
''Ne pas désespérer Billancourt'' (Sartre) et ''L'absurde réalité du mythe de Sisyphe''
(Camus) peuvent être un raccourci très caricatural des 2 opinions.
Et donc sembler être bien dépassé aujourd'hui, car sans équivalent
célèbre... Ce qui est dommage, mais guère étonnant. Demandez donc
à Miss Tatcher-TINA-TV-PUB pourquoi le temps des brillants intellos
s'est écroulé...
Non, le débat de ''LA
question sociale'' n'est pas écroulé, mais tu. Il reste
nécessaire et d'actualité mais n'est plus aussi tapageur que la
brouille mémorable d'entre Jean-Paul Sartre (1905-80) et Albert Camus
(1913-60)...
Restent les bavassages à
la Finkelkraut ou BHL. Qui cachent les travaux de la myriade de
chercheurs moins philosophes autoproclamés qu'hétérodoxes et
utiles penseurs, sociologues, économistes, historiens, géographes,
etc. !
En contexte du
''divorce'' Camus-Sartre, retour sur des différences objectives.
1- Le premier paradoxe
est que Camus est fils de pauvres pied-noirs d'Alger, Sartre fils de
la bourgeoisie parisienne, mais que le premier sera taxé de
bourgeois, par rapport au second, devenant ouvriériste... : Via
circonvolutions compliquées, Sartre devient ''compagnon de route du
PC'', tandis que Camus reste libertaire (discrètement) et gravit
bien des marches de gloire jusqu'au Prix Nobel… prix que Sartre
refusera ensuite.
2- Autre paradoxe :
Camus a une petite jeunesse chaotique d'orphelin (son père est mort
à la guerre en 14). Il est sauvé grâce à un pédagogue qui lui
trouvera des bourses d'études, puis orienté par des amis
littéraires-libertaires (Grenier, Charlot) : premiers amis à
qui il restera très fidèle toute sa courte vie fulgurante de
célèbre journaliste, écrivain, philosophe. Se faisant de nouveaux
amis, dont Sartre qui l'invite à ''Temps Modernes'' avec chaleur.
Avant de le ''répudier'' (dans la sensibilité de Camus) ou de le
''licencier'' (dans la position de patron de Sartre). Ce qui
n'empêchera pas la gloire de la brève carrière littéraire de
Camus. Alors que Sartre a une bien longue carrière de philosophe,
plutôt qu'écrivain (romans et théâtre ne seront que des étapes
dans son œuvre philosophique ambitieuse). Plus un itinéraire
compliqué, comme son œuvre... dont l'échec final de l'essai sur
Flaubert !...
3-Autre contradiction,
sur l'Algérie : Camus est piégé. Il dira ''entre ma mère
et la justice, je choisis ma mère''. Phrase sincère, mais
maladroite si sortie de son contexte (un interview hâtif lors du
Prix Nobel en 57). Ce hors-contexte fut repris par une vaste presse
soumise à la pression d'un premier ministre belliciste : Guy
Mollet n'ignorait pas que Camus était écouté par la jeunesse, si
inquiète de devoir être appelée pour faire une bien sale guerre...
Jeune lecteur ébloui de
mes premières lectures de Camus je fus très choqué, désorienté
de lire cela. Ce fut le cas de beaucoup : nous attendions tant
du plus célèbre pied-noir, qui avait dénoncé les injustices, en
Kabylie, etc !. Tant du philosophe, journaliste, romancier si
''flamboyant'', couronné du Nobel !
Ce fut pour nous, le
plongeon dans le chaudron algérien, dont je pus sortir avec moins de
''casse'' que beaucoup. Mais, dans la casse il y eut pour moi le
rejet de Camus. Plus tard, mes péripéties de militant et
d'imprimeur m'entraîna à des choses cocasses comme celle d’œuvrer
à la sortie clandestine de ''La Cause du Peuple'' sans consignes
précises, en 1971 : il m'est arrivé de mettre les signatures
de J-P Sartre ou S. de Beauvoir au simple jugé hâtif de titres
d'articles ''les plus durs'' ! : la loterie !...
Plus sérieusement, il
m'a fallu un très long temps avant de bien renouer avec Camus, faute
de temps. Et je n'en perdis pas non plus aux blablas sur leur
différend, ni à lire Sartre... Dont j'admire des engagements
audacieux, comme ''l'appel des 121'' ou ''les valises du FLN''...
puis avec les maoïstes errants !
*
Ce n'est que récemment
que je suis revenu à sérieusement lire Camus, grâce à Benjamin
Stora, le très grand historien de l'Algérie, né pied-noir juif de
Constantine et donc très expert de son célèbre compatriote. Mais
comme en écho à ''l'affaire Sartre-Camus'', ce fut ''l'affaire Stora-Onfray'' : Deux ''camusiens'', chargés successivement de
la très grande exposition Camus prévue à Aix-en-Provence dans le
cadre de ''2013 Marseille Capitale Culturelle de l'Europe''... Ce
bizarre changement de directeur du projet a abouti au pire : la
non tenue de cet événement à cause et surtout d'un micmac
politicien lugubre, compliqué par le rôle de la fille-héritière
de Camus !...
Je ne vais pas ici plus
entrer dans le détail, prendre position pour Stora ou pour Onfray.
Ils reconnurent leurs approches si différentes de Camus, sans
dispute. Mais surtout le poids local de nostalgiques pied-noirs
d'Aix, espérant récupérer Camus, l'ex ''traître'' (aux ultras)...
avec l'aide de l'ex ''clan Sarko'' !...
*
Cette lointaine rupture
Camus-Sartre et ce récent non-événement d'Aix sont en résonance...
en pire. Sartre et Camus furent des ''sommités'' d'audience
internationale... sans équivalence maintenant. Est-ce à dire que
''LA question sociale'' qu'ils abordaient est bien résolue ?
Elle l'est : très mal. Par la victoire - apparemment forte, en
fait folle donc très fragile - du Dieu-Fric sur nous tous : ''bosse,
consomme, tais-toi, crève'' on pille tout, toi et la Planète !
On tient tous les leviers politiques et militaires !...
Mais non, on ne se
taira pas. La voie libertaire éclaire le renouveau des luttes
sociales, partout. L'espoir de ''L'Homme Révolté'' est là :
merci Camus...
*
En conclusion, je me
risque à ce raccourci de l'actualité du si vieux débat :
1- évident comme les
éléments EAU-TERRE, est la Justice Sociale, pour Sartre. 2-
évident comme les éléments FEU-AIR, est la Liberté
Individuelle, pour Camus. 3- évidemment, ce n'est que schéma de
leurs pensées, non dogmatiques, chacun étant conscient que ces 2
pôles sous-tendent l'intense débat au sein des luttes sociales
concrètes, libérantes de tous et chacun !
"CAMUS BRÛLANT" de Benjamin STORA & Jean-Baptiste PÉRETIÉ
"CAMUS BRÛLANT" de Benjamin STORA & Jean-Baptiste PÉRETIÉ
Sous l'casque d'Erby
J'aime bien ces deux auteurs. Evidemment, quand on compare avec nos intellectuels de marché d'aujourd'hui , ça fait mal. Je pense avoir lu que Camus s'est engagé au PC.
RépondreSupprimerBonjour DPP ! Tombé du lit ?...
SupprimerPour revenir à Camus et à la récupération qu'on en fait, voici un extrait qui le range définitivement chez les irrécupérables :
« … Le révolutionnaire est en même temps révolté ou alors il n’est plus révolutionnaire, mais policier et fonctionnaire qui se tourne contre la révolte… En 1950, et provisoirement, le sort du monde ne se joue pas, comme il paraît, dans la lutte entre la production bourgeoise et la production révolutionnaire ; leurs fins seront les mêmes. Il se joue entre les forces de la révolte et celles de la révolution césarienne. La révolution triomphante doit faire la preuve par ses polices, ses procès et ses excommunications, qu’il n’y a pas de nature humaine. La révolte humiliée, par ses contradictions, ses souffrances, ses défaites renouvelées et sa fierté inlassable doit donner son contenu de douleur et d’espoir à cette nature… Les pensées révoltées, celle de la Commune ou du syndicalisme révolutionnaire n’ont cessé de nier cette exigence à la face du nihilisme bourgeois comme à celle du socialisme césarien. La pensée autoritaire, à la faveur de trois guerres et grâce à la destruction physique d’une élite de révoltés, a submergé cette tradition libertaire. Mais cette pauvre victoire est provisoire, le combat dure toujours… »
Oui, Camus s'est brièvement engagé au P.C.A : le parti-frère ALGÉRIEN... qui était encore sur une position internationaliste, donc POUR l'indépendance (pacifique) avec la France. Puis il le quitta, très vite, au tournant stalinien du PCF, qui prit le désastreux tournant d'une Algérie "assimilée"... au grand-frère ! D'ailleurs, l'éclatement des communistes français entre pro-Moscou et pro-Pékin a là ses racines : les pro-Moscou-PCF ont voté pour G.Mollet envoyant les appelés en Algérie, les autres ont rejoints les maquis du FLN ou les ont soutenus... puis ont tenté, pour certains, de fonder un PCF-pro-Pékin, plus tard. Camus, lui, avait choisi d'écrire...
SupprimerBonjour les caillasseux. Temps suspensif.
RépondreSupprimerQue cela fait du bien un peu de fraîcheur et d'intelligence. Sans donner dans un passeisme barbant, il est indéniable que notre époque manque cruellement d'hommes engagés possédant coeur et profondeur d'esprit. Des gars qui, par la parole, par les actes, par l'écriture, vous donnent envie d'aller voir ce qui se vit et se trame de l'autre côté de la haie.
Nous passons notre existence à imaginer un impossible voyage au paradis, celui-ci se résumant, par excès de conditionnement, à une enceinte de béton et de tuiles dans laquelle frigo, voiture, télé et machines diverses, qu'on nomme le confort à crédit, nous tient en laisse... La vie et la mort devenant au fil du temps les maillons d'une chaîne plus ou moins lâche qu'on ne cherche même plus à briser.
Quant aux "philosophes" actuels ne m'en parlez pas où je sors mon escopette !
Bon papier de l'ami Rémi.
PS : Pour ma part j'ai toujours préféré Camus à Sartre, chez qui je sentais une rigidité qui ne me correspondait pas...
Merci l'ami lediazec de la mise en page soignée et de ton ajout de liens... j'en ignorais certains !
RépondreSupprimerBeau papier Rémichhh qu’il est bon de comparer à nos misérables philosophesqu’on l’on nous sert à la taloche . Je ne parle pas d’Onfray que j’aime bien. Perso je préfère Camus à Sartre par ce que Camus est un artiste avant tout , un poète.
RépondreSupprimerTu évoques ces "misérables philosophesqu’on l’on nous sert à la taloche" : exact... Mais le pire est ce "on" (c;a.d. le tapage médiatique entretenu par Dieu-Fric pour nous égarer) finit par empêcher les intellectuels dignes du nom d'avoir droit au débat... de moins en moins libre ! : il s'agit d'une pléiade internationale de penseurs féconds. Des artistes bien sûr comme le chanteur révolté russe qu'épousa Marina Vladi et tant d'autres, actuels. De l'historien Edward Zinn et du linguiste palestinien-américain Edward Saïd, morts récemment. Mais aussi de bien vivants, les "hétérodoxes" qui refusent TINA... dont de véritables philosophes censurés...
SupprimerMichel Onfray est de ceux qui, courageusement, ont tenté de percer ce mur de la "bien-pensance - langue de bois". Il a cru bien faire, de faire du "tapage médiatique", même du "tape-à-l'oeil à la mode médiatique" ... et cela l'a entraîné à se faire piéger dans l'affaire d'Aix, consistant à torpiller le lent et profond projet du si laborieux Benjamin Stora sur Camus. Mais Stora a su maîtriser sa colère légitime d'être "débarqué" au profit de Onfray. Et, entre eux deux, il a eu explications fécondes et sain renoncement de Onfray, à la fin. Voilà le résultat du réac lobby "Sarko-OAS" : une 2° mort de Camus, Silence : TINA règne...
au Vatican on ne croise pas des nains mais peut-être des tits nenfants
RépondreSupprimer