mercredi 22 janvier 2014

Lecture - La contrebasse de Patrick Süskind

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Le jour se lève et mon regard accroche les premières lueurs. Je respire l'aube comme elle m'aspire. Dans un concert de cris, le ciel devient boulevard de la poésie aux oiseaux.
Qu'il pleuve ou qu'il vente, je reste fidèle à cet instant unique où la vie se prépare pour une nouvelle danse de vie et de mort. 
En ces temps de bêtise non mesurable, entre faux « scandale », vrais mensonges et appels au meurtre, pour des broutilles, pour des riens, fétuque des prés pliée par des vents mauvais, le répit n'est pas un luxe mais un instant de première nécessité qu'on emprunte à l'éternité pour échapper à l’écœurement. 
Comme souvent, quand je m'emmerde, je file à la chasse au bouquin dans mon grenier. « La contrebasse », de Patrick Süskind, m'a aidé à oublier, le temps d'une belle lecture, la puanteur ambiante. 
J'avais lu du même Süskind « Le parfum ou la vie de Jean-Baptiste Grenouille », l'histoire d'un gars bizarre, pourvu d'un nez aussi extraordinaire que celui de Cyrano, en moins péninsulaire mais en tout aussi légendaire. 
Pièce de théâtre au succès mérité, « La contrebasse », est l'instrument et le héros du récit. Il pousse et repousse, de manière aussi subtile que possible, le musicien-propriétaire aux frontières d'un voyage introspectif que l'excès de frustration conduit aux portes de la folie... 
Dans un soliloque dément le musicien-otage explique le choix de l'instrument, sa forme féminine, responsable, selon lui, de bien de tourments amoureux et nous en détaille le paradoxe morphologique : 
« Les hanches beaucoup trop basses, la taille complètement ratée, beaucoup trop marquée vers le haut, et pas assez fine ; et puis ce torse étriqué, rachitique... à vous rendre fou. C'est parce que, d'un point de vue historique, la contrebasse est le résultat d'un métissage. Elle a le bas d'un gros violon et le haut d'une grande viole de gambe. » Puis vient le chapitre du père, court et tranchant, assez pour comprendre qu'il n'est pas facile d'être père devant un tel fils : « dominateur, fonctionnaire et aucun sens artistique. » 
Il n'y a guère que sa petite sœur pour échapper au coup de scalpel. Et sa maman, qu'il idolâtrait, « grâce » à qui il est devenu ce musicien à la vie détestable, qu'il n'épargne pas plus que le pater, car pour se « venger », il fit exprès de choisir l'instrument le plus laid et le plus encombrant de l'orchestre... 
C'est au hachoir à légumes qu'il psychanalyse la banalité de sa vie, dénombre les célébrités gonflantes et quelquefois dégueulasses, ou beaucoup moins géniales qu'on ne les présente à la télé ou dans les médias, qu'il côtoie dans l'exercice de son métier ou dont il a lu avec passion les biographies scabreuses. Comme le grand Wagner, brutal avec sa première femme, piètre musicien et nazillon sur les bords... Bien autre chose que les comiques du moment qu'on offre à la foule dans les arènes pour cacher les saloperies du pouvoir. Une autre histoire, toujours la même cependant. Et Mozart, un « génie par défaut », tous les grands musiciens pouvant lui faire ombrage étant nés après sa mort ! 
Quant au Chef d'orchestre, un prétentiard juste bon à brasser de l'air, à produire des moulinets ridicules devant lesquels la foule de frustrés s'extasie ! Il en prend pour son grade, le gradé ! Vous pensiez qu'il joue un rôle indispensable dans l'orchestre ? Que nenni ! Sachez que pendant des siècles, « les orchestres se sont fort bien passés de chefs... Le chef est une invention du dix-neuvième siècle ! » 
Tandis que l'orchestre peut très bien se passer de chefs, en revanche, il ne peut se priver de contrebassiste, le poumon de la planète musicale... 
Et que penser de la misogynie dans le milieu de la grande musique ? Avez-vous vu beaucoup de femmes chef d'orchestre ?... 
Ce que l'on croît être une histoire d'amour n'est qu'un divorce entre le musicien, son encombrant compagnon d'infortune et cette putain de bonne société qui vous courbe l'échine pour que l'ordre demeure.
Portrait admirable d'un homme blessé.

Pour à peine 5€, le salaire mensuel d'un petit asiatique, vous pouvez vous procurer ce petit ouvrage bien charpenté.


Sous l'casque d'Erby




5 commentaires:

  1. Bonjour les caillasseux. Temps heureux.
    Message d'Erby que je vous livre :

    "Salut les amis,
    Après le Québec, la Suisse !... Me voilà à nouveau papy d’une petit demoiselle.
    Nous prenons donc la route en fin de semaine pour aller voir l’héritière et ses parents à Zermatt. En conséquence il n’y aura pas de nouveaux crobards pendant une grosse quinzaine, sauf du tout-venant pré-programmé sur le blog qui devrait apparaître aléatoirement (*)...
    À bientôt
    Amitié de Papy René"

    FÉLICITATIONS !!!

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  2. ça fait longtemps que je n'ai pas lu, du coup k'irai voir à la bibliothèque...

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  3. Ah, j'ai grand plaisir à découvrir cette note de lecture, un genre de billet dans lequel tu excelles, l'ami ! En plus, j'ignorais tout de ce livre et de son auteur : merci de la découverte !
    En rêverie, j'ai vite associé ce billet à ce que je connais de contrebassistes magnifiques. Le "grand ami" Pierre Nicolas qui accompagna et encouragea tant Georges Brassens. Et le génial Charles Mingus, of course !...
    Quoiqu'il s'agisse (je crois) de violoncelle, j'ai repensé aussi aux sketchs et prouesses du désopilant Maurice Baquet : bref, de quoi commencer une belle journée malgré ces temps moroses (au minimum)...

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