jeudi 21 janvier 2016

L'imposture de l'art contemporain, une utopie financière - Aude de Kerros

Eclairage - M art'IN
« Un combat sourd, silencieux, secret, tragique, met les créateurs dans une situation de riche dépendance ou de misérable solitude. Ce conflit sans équivalent dans l’histoire a mis beaucoup de temps à être perçu et élucidé par les artistes, leur public et les amateurs. »
Aude de Kerros, artiste et essayiste dénonce comme ses pairs en dissidence, une marginalisation destructrice du créateur français. Cependant une institution culturelle a été mise en place depuis plus de trente ans, soit disant, pour produire exactement l’effet inverse. L’impôt pour la « Culture » est collecté pour aider les artistes à exposer dans les meilleures conditions, promouvoir, vendre et acheter leurs œuvres. C’est à travers un travail d’enquête extrêmement approfondi, sur le plan artistique, philosophique, sociologique, économique, dans la capitale et à travers le monde, que l’essayiste fait le constat implacable sur la réalité chronologique référencée et du suivi « événementiel » de ce fameux « Art Contemporain ». Cet art qui se voudrait perpétuellement à la mode et actuel, ne vante depuis plus de trois décennies que le style conceptuel qui n’évolue pas. Il remplace et nous confond en se substituant à l’art naturellement riche de  styles et d’évolution permanente.

Trois essais sur le sujet, parmi d’autres écritures : « L’art caché », « Sacré art contemporain » et enfin ce dernier, « L’imposture de l’AC, une utopie financière ». Livre le plus abouti quant à la recherche du nœud gordien qui assujetti l’art, l’artiste et le public en cette époque si sombre. Aude de Kerros évoque à plusieurs reprises George Orwel, « 1984 » et Aldous Huxley, « Le meilleur des mondes ». On ne peut être plus précis quand on sait, en tant qu’artiste, que la création nous offre l’image du monde.
Naomi Klein dans « La stratégie du choc » démontre comme il est facile de manipuler les hommes et les peuples à travers leurs sens et leurs émotions, Aude de Kerros tente de comprendre le cheminement de la tragique destruction de l’art et de la condition d’« artiste libre », comme on dit si joliment.
« L’art est lié à la condition humaine, le développement de ses formes ne s’achèvera qu’avec le dernier homme. », écrit-elle, avant d’ajouter « qu’il y a autant de pratiques artistiques, autant de facettes, styles et genres que d’êtres humains dont on sait qu’ils sont tous singuliers. » Elle note que l’artiste sera toujours libre et ruse contre la censure. On ne peut enfermer les sens.
Il est malheureux de constater qu’en France perdure un art totalitaire avec son lot de censures finement orchestrées. L’installation de l’institution culturelle dans les années 80 n’a servi qu’aux marchés dominants, l’élite marchande et politique occidentale. Le style conceptuel fut adopté en force pour imposer l’élimination des autres langages  artistiques. Si l’on en croit des études psychiatriques, le choc, ou le gavage des sens permet de manipuler et assujettir des peuples entiers. L’épanouissement des sens est indispensable à l’équilibre de l’homme et de la planète.
Jadis, la France possédait « l’exception culturelle », aujourd’hui elle n’est qu’instrument financier. Notre coq français transformé en corbeau ne serait-il pas devenu victime de son ego, tout comme nous l’a conté La Fontaine. N’aurait-il pas lâché son fromage pour que perdure sa jolie voie à travers le monde. En lâchant ses propres artistes, il se retrouve colonisé par une mouvance instaurée par de malins marchands aussi futés que le renard de la fable.
L’artiste français, même formaté au conceptuel, est abandonné,  humilié, déni par les agents institutionnalisés.  « … en France, sur les 60 000 artistes répertoriés, 35% sont au RSA ». Or beaucoup d’artistes n’étant pas célibataires, leurs partenaires possédant un revenu, ne sont pas répertoriés dans les statistiques !… L’Etat finance ses universités et écoles artistiques pour fabriquer une population de précaires qui n’ont même pas appris les bases du dessin, de la peinture et de la sculpture. Seul l’art conceptuel est enseigné. L’autre côté de la barrière. « La masse salariale répartie entre les 200 fonctionnaires de l’inspection de la création est de 12 000 000 €. »…  « En trente ans d’AC, 27 000 achats  d’œuvres ont été effectués par l’Etat et les régions … 50% d’œuvres sont  étrangères ». Les œuvres acquises par l’Institution, manquant la plupart du temps de pérennité, des sommes folles sont investies aussi  par l’Etat pour leur rénovation perpétuelle.
Les agents de l’institution ont phagocyté tous les lieux d’expositions convenables. Le contribuable français participe à son insu au système et finance son abrutissement. La grande majorité ne comprenant rien au conceptuel se détourne de l’art imposé. Une poignée entre en religion et  s’accroche à capter le vide qui l’enfume. Les travailleurs de l’institution sont payés pour y croire. Pendant ce temps, une élite savante fabrique avec cet « art » de l’argent comme en  bourse.
La frustration et les dégâts sont dévastateurs mais cela rapporte beaucoup à certains en leur offrant de plus en plus de pouvoir.




« Les artistes d’aujourd’hui » empruntent des chemins détournés. Soit ils feignent d’être conceptuels, tout en cachant leurs vrais travaux artistiques, soit ils tentent de détourner la mouvance en y glissant du sens caché. La plupart des artistes sont rebelles et débrouillards. Ils font fi de leur précarité et sans chercher plus loin, se créent des lieux alternatifs sauvages, exposent par vents et pluies, même si leurs œuvres s’abiment dans la boue. Le public court les jardins, les rues, les salles communales, de plus en plus réceptif, car souvent confrontés dans leur vie aux mêmes effets néfastes du pouvoir. C’est surtout sur internet que les plages sont libres d’expositions pour les amateurs sensibles d’être en connexion avec l’art sensé qui offre  l’émotion.
Aude de Kerros nous détaille par le menu l’accouplement forcé de ce soi-disant art soumis à l’argent, grossier, choquant, prostitué, enfanté par ce monde libéral qui passe à côté des sources vitales pour que le capital puisse régner sur la vie. Tout pouvoir a une fin. Comme la mouvance est un retour aux sources, à la terre nourricière, avec un rejet du consumérisme, la recherche de l’harmonie, du sens et du beau, « l’art d’aujourd’hui » se lève, prend les voiles. 30 ans caché mais tout de même exprimé, il refait surface.
« L ArTche des sens » est gentiment mentionné par Aude de Kerros, ce qui nous honore ! Merci pour ce combat qui nous est commun et pour ce travail colossal d’éclairage sur cette réalité toute crue si dure à assimiler tant cela parait à ce point corrosif.
Pour la lumière, lisez le dernier livre d’Aude de Kerros !

M art'IN




Sous l'casque d'Erby

Illustration pour un blog ami


6 commentaires:

  1. Bonjour aux caillardeuses et aux caillardeux. Superbe coup de projecteur sur le monde du silence des artistes libres et sur le totalitarisme culturel. Dans le vaste bagne où ils vivent confinés, les artistes prennent peu à peu conscience, se libèrent et font ce qu’ils ont toujours fait sans se soucier du pouvoir politique et financier : peindre, chanter, sculpter, photographier, façonner la liberté loin de la saleté culturelle que l’Etat impose.
    La bonne journée.

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  2. Je me suis régalée à lire ce livre, une critique s'imposait. Je vous conseil de lire cet essai révélateur.

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  3. Que vive l'art libre ! Mais il est vrai que la liberté et la démocratie vont mal ces temps-ci : à preuve le fait que le secrétaire porte-parole du gouvernement vénézuélien vient d'être assassiné par des professionnels, je viens de le voir sur un commentaire du Grand Soir.

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  4. Merci pour la vidéo de F. Lepage !!!! Jouissive au possible ;o)
    Et bon courage aux artistes...

    Clomani

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    1. Salut Clo. Pas trop le temps de bloguéer ces temps-ci : un peu de lassitude et beaucoup de dégoût. Frank Lepage, évidemment ! Parce que son sketch, une véritable conférence de pédagogie culturelle et politique, colle parfaitement au texte développé par Martine et à la lutte qu’elle mène contre la féodalité du pouvoir culturel.
      La bonne journée.

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  5. Quoi dire... Nausée qui s'ajoute à la nausée... Ah le courage de ceux qui luttent debout contre ces vents contraires! Qu'ils soient loués ici, ceux qu'on connait... et les autres.

    " Le pouvoir, telle une ravageuse pestilence, pollue tout ce qu'il touche".

    Percy Bysshe Shelley (Poète anglais)

    Odile

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