samedi 21 mars 2015

Le puits/les adieux – Juan Carlos Onetti

Si vous voyez non pas dans le sommeil mais dans la réalité de sa lecture un œil rouge, une lune verte, le temps qui bouge, des lampadaires offusqués, une rime injuste, que vous éprouvez des sensations mettant à mal vos idées reçues, voire même l’équilibre mental, l'essence du terme cartésien demandant révision urgente, ne vous pincez pas, vous êtes bel et bien éveillé, mais vous naviguez dans une dimension que vous abordez peut-être pour la première fois. C'est un brin déstabilisant, certes, mais très excitant, je parle de littérature latino-américaine et de Juan Carlos Onetti en particulier.
En relisant cet auteur, né en 1909 en Uruguay et mort à Madrid en 1994, les tambours de l'illusion frappent à ma porte, accrochent des lampions au fil de la mémoire, pendant qu'un bout de filtre épuise sous la fumée les dernières particules d'une vraie cigarette, cette drogue dure avec laquelle les Etats font leur beurre. Rien n'est compliqué dans les romans de Juan Carlos Onetti. C’est la façon qu'il a d'étager les mots dans sa construction romanesque qui donne l'impression bizarre de les lire dans le reflet d'un miroir... Comme si face à face devant la glace nous découvrions que les choses se sont soudain inversées vous obligeant à mettre en branle la bécane à comprenette pour vite vite remettre tout ça à l'endroit...
Quand on lit un livre de Juan Carlos Onetti, il faut commencer par déterger l'esprit des impuretés de l'habitude. Si vous cherchez une assise architecturale pour votre confort et votre sécurité, passez votre chemin, ces histoires ne vous diront rien, vous ne trouverez pas l’arsenal habituel d’images pieuses qu'on imprime pour divertir un public conditionné par le ronronnement de la futilité. Rien n'est jamais rectiligne, ni tranquille, sur les routes tracées par Juan Carlos Onetti, mais une chose demeure : de sa confusion broussailleuse naît une sorte de limpidité que l'esprit accueille avec bonheur, après digestion…
Certains spécialistes disent qu'il vit dans un « monde mensonger ». Tout ça parce que nul ne veut ou ne peut donner une forme cohérente à un ensemble déroutant et que dans son désespoir le critique s'accroche aux premières « bizarreries » venues comme on attrape la branche salvatrice au cours de la chute.
« Vivre ici, c'est comme si le temps ne passait pas, comme s'il passait sans pouvoir me toucher, comme s'il me touchait sans me changer ». Le bistrotier qui fait ce constat dévastateur comme on chopine un verre de rouquin dans une gargote, témoin et narrateur de l'extrême limite des choses, il est de fait victime de la lucidité. Ignorant les barrières de la langue la lumière des sociétés confinées ouvrent des portails sur des mystères autrement plus épais... 
On a comparé Juan Carlos Onetti à Borges, Joyce, Huxley, Faulkner… Cela devient très agaçant, ces comparaisons. Juan Carlos Onetti est un écrivain exceptionnellement unique, comme le sont Borges, Joyce, Huxley ou Roberto Arlt
Voici donc pour le prix d'un, deux romans de Juan Carlos Onetti. Je parlerai de nouvelles plutôt que de romans : Le puits »/Les adieux. Collection 10/18 avec deux très belles postfaces (1984) de Louis Jolicoeur.


Sous l'casque d'Erby



7 commentaires:

  1. Le bonjour caillouteuses et caillouteux. Et oui, par ces temps de grande marée il m'a semblé naturel de me laisser porter par les courants chez nos frères d'Amérique Latine, plutôt que de subir les embouteillages polluants des départementales.
    Il fait beau chez les druides.

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  2. "il vit dans un « monde mensonger ». Tout ça parce que nul ne veut ou ne peut donner une forme cohérente à un ensemble déroutant "

    Voilà, entre autres trouvailles, ce que tu écris dans ce billet... déroutant à souhait, donnant envie de lire cette plume rare... bravo lediazec!

    Et si la "normalité" que le "citoyen-électeur-moyen" est censé être, demain, c'est de hisser les 3 zélus sur le podium d'Erby, alors nous sommes nombreux (majoritaires!) à être "déroutants"... tant mieux !

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    1. Oh, merci Rémi ! Reçu à l'instant "l'imaginaire de la commune" de Kristin Ross.

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  3. Ah, Onetti ! Merveilleux écrivain ! Je ne connais pas celui dont tu parles, mais je conseille la lecture de son roman intitulé La Vie brève (La Vida breve, pour toi…).

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    1. Moi c'est La Vida breve que je n'ai pas ligoté. Merci.

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