vendredi 3 octobre 2014

FLORE

Oui, nous ne le savons que trop : de très nombreuses abominations s'abattent sur notre humanité.
Dont guerres et conflits sociaux consécutifs à l'agressivité du capitalisme actuel et de nos salutaires résistances ; dont fléaux récents genre sida, empoisonnements de la planète, mortalité routière ; ou fléaux anciens mais toujours actuels genre paludisme ou mœurs patriarcales de soumission au chef (famille, travail, patrie, religions dogmatiques - et j'en passe...). Par rapport à « tout ça, tout ça », d'autres drames peuvent passer relativement secondaires voire bénins, car relativement rares et, qui plus est, réservés à la catégorie de la population la plus âgée, telle la maladie d'Alzheimer.






*Alzheimer ?* 
1- Même en tenant compte de l'élévation d'espérance de vie et de meilleurs diagnostics, cette terrible maladie semble se répandre de plus en plus souvent. Ce qui est lié, évidemment et comme tant d'autres horreurs, à la dégradation d'une vie saine pour chacun, en société harmonisée - ne serait-ce qu'entre générations...

2- Il semble, en plus, que les cas précoces d'Alzheimer (dès l'âge de 40 ans ?) soient de moins en moins rares. Ceci pour la même raison de dégradation d'équilibre de nos vies, sur tous les plans...

3- La distance est énorme entre la qualité technique du dépistage savant et les capacités humaines de bon traitement et suivi, pour cette maladie grave comme pour tant d'autres. Liée à la conception technocratique du secteur « Santé » où sévit l'ordre patriarcal - dont l'échelon inférieur, principal, des soignants, infirmières et infirmiers sans grade, est le plus dévoué... et maltraité.
Voilà déjà de solides raisons pour lesquels j'avais tant envie de voir le film « Flore », mais...
*
...Mais quand j't'aurai dit, tu comprendras... : Flore est ma sœur aînée la plus proche !

*
Telle me fut la raison fondamentale de courir voir ce si beau film. Promis, je l'espère, à être vu et reconnu, comme il le mérite tant, j'y reviendrai. Mais j'ai d'abord à évoquer « qui est Flore dans ma vie ».
Vers mes 10 ans, elle devint jeune fille de 13, magnifique : elle fut sûrement mon premier canon de beauté féminine - avant sa contemporaine « BB », à qui je l'associais plus tard ! Plus important, sa folle joie de vivre eut très tôt une grande influence sur moi, son « p'tit Rémi » chéri, plutôt introverti. Et donc subjugué - à vie... - de sa sensibilité féminine exubérante, exemplaire.
Vers mes 20 ans, rompant ou m'éloignant assez vite de ma « tribu » (j'ai 1 frère et 7 sœurs !) je gardai cependant à Flore une discrète affection, notamment de la savoir devenir artiste peintre et de s'envoler avec l'homme-de-sa-vie, couple d'aventuriers sympathiques, ouverts, simples, encore que nos chemins de vie aient divergé, eux dans l'aisance, moi pas… mais anticonformistes de part et d'autre de la barrière de classes.
Je ne connais pratiquement pas leurs 3 enfants et je sus tout juste que l'aîné des deux fils se lançait comme cinéaste auprès de Nicolas Hulot (qui n'est pas ma tasse de thé). Plus tard, je sus que Flore eut un cancer du nez dont elle put guérir et... vécut très mal la soudaine mort de son conjoint. Commença alors la longue chute vers et dans Alzheimer (2005). La toute dernière fois que je l'ai revue, ce fut aux obsèques de notre maman en février 2008. Elle fit, entourée de ses grands enfants, une brève apparition. Et, m'ayant (difficilement) identifié, se pendit à ma barbe en éclatant de rire, un instant !!... Depuis, je sus qu'elle survivait encore en « mouroir de riche ». Jusqu'à cette extraordinaire « résurrection de Flore » qui est l'objet de ce film exemplaire.
J'ajoute que, à la faveur de la visite d'amitié de l'une de mes sœurs cadettes, nous avons eu la chance de voir « à quatre yeux » (parfois embrumés) ce « Flore », puis d'en discuter très chaleureusement !


*Résurrection*


« Une ode à la vie. Contre les recommandations de tous, un fils sort sa mère atteinte d'Alzheimer de sa maison médicalisée pour la ramener chez elle. Au contact de la nature, elle revient à la vie… » : telle est la sobre présentation du film, très exacte...
Il se trouve que ce « chez elle », après Paris, reste la maison familiale, isolée en Corse, dans une superbe nature proche de la mer. Lorsque, après le rocambolesque emménagement de la grande malade là-bas, Flore commence lentement à sortir du pire de son état mental, elle a mon âge actuel, 76 ans. Et de l'état pire que grabataire à son arrivée en Corse (septembre 2010) à aujourd'hui, elle semble avoir rajeuni de 10 ans, au moins ! Je retrouve dans la fin du film le regard si perçant et « l'éternel sourire » de ma sœur d'antan, disparus complètement du masque si douloureux de la pensionnaire de clinique, où les « médicaments » font substituts aux aliments qu'elle refuse de manger. Elle ne pèse plus, alors, que 39 kg. à son arrivée sur l'île - qu'elle connaît depuis 50 ans et avait oublié...
L'une des séances les plus drolatiques et émouvantes de cette lente résurrection, restauration, retour à l'équilibre de vie, est le jeu patient de la tibétaine Tsomo pour l'alimenter. Dans un autre épisode, elle lui masse le visage tout doucement et Flore se détend... Cette bouddhiste, qui est, de fait, son infirmière et plus encore sa joyeuse confidente quotidienne, 24h sur 24, devient la cheville ouvrière du « phénomène » Flore, qui épate le médecin en visites fréquentes. Mais un autre soin patient, indispensable, intervient beaucoup. Celui de Philippe, kiné, rééducateur et psychologue. Peu à peu, Flore semble l'adopter comme un fils de plus, un familier grâce à qui elle se remet à parler, marcher, crayonner sinon peindre et, même, finalement, à nager !
Excellente nageuse pendant plus de 60 ans, Flore fut dans ma petite enfance mon modèle en natation, avant qu'elle n'apprenne à nager à ses trois jeunes enfants. Ceux-ci, aujourd'hui, ont pu courageusement offrir à leur maman la belle sortie de prison qu'est le « traitement normal » des grands malades d'Alzheimer. Cela reste hors de portée du commun des proches d'une victime de cette maladie, que la solidarité sociale devrait pouvoir traiter plus humainement que cela n'est fait : et, discrètement mais clairement, cela est bien dit par « la voix off » du film, celle du réalisateur.

*Réalisation du film* 
Jean-Albert Lièvre, le fils aîné, cinéaste, ne se décide qu'en novembre 2012 de faire un film sur sa mère, pour prolonger dans l'opinion publique l'action qu'il mène à bien - avec le puissant soutien de sa sœur aînée et la solidarité de son jeune frère. Celle de sauver sa mère du milieu médical qui la tue. Bravo et merci à vous, ma nièce et mes neveux inconnus !... Jean-Albert n'avait encore que filmé avec son seul téléphone portable certaines scènes (parfois visibles dans le documentaire) à destination première de médecins ou spécialistes de cette maladie...
Avec une maîtrise et un savoir-faire remarquables, le film est alors complété, construit, achevé et il sort depuis peu dans les salles. Ce film un exploit de poète-cinéaste entre fortes émotions et convictions !
Je laisse le dernier mot à cet avis compétent, recueilli sur le blog du cinéaste : 
"Flore est un film à part, un film d’amour, d’attention à l’autre, d’espoir et de résilience des malades de la maladie d’Alzheimer. Un film qui ouvre une porte sur l’espoir d’un monde meilleur pour « nos vieux » (je les appelle comme cela avec affection et réalisme). Et si nous vivions dans un monde qui s’occupe de ses vieux, qu’ils aient ou non la maladie d’Alzheimer, qui décide d’avoir les moyens de les aimer, les accompagner, les encourager, les nourrir, les masser, les promener, leur sourire. Car dans ce cas, la vie jaillit et cela fait du bien à tous ceux qui sont autour. Un beau film, qui ouvre une porte, qui fait réfléchir, qui donne envie d’agir. Un film indispensable ; courez-le voir !" 


Sous l'casque d'Erby
 

16 commentaires:

  1. Magnifique résultat, film magnifique certainement. La "médecine occidentale" a depuis longtemps atteint ses limites, qui sont les limites humaines. L'humain, elle l'a oublié. Ne reste que l'appétit démesuré de "l'industrie pharmaceutique", qui ne pense qu'en quantité, pas en qualité, et qui affecte de soigner les symptômes, de les cacher plutôt, sans se préoccuper du fait qu'il s'agit d'être vivants, conscients et tous différents.
    Plutôt crever !

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  2. Bonjour les caillasseux. Emouvant mélange de témoignage personnel et de critique cinématographique, avec, en toile de fond, l'hypocrisie d'un système dont la priorité demeure le bénéf' qu'on peut se faire sur le dos du patient.

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  3. Merci Rodolphe d'avoir, vite et bien, fait paraître ce compte-rendu si personnalisé...

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  4. Merci pour ce compte rendu, je ne manquerai pas d'aller voir ce film !
    Et ô combien il me parle...

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  5. Ah, je viens de voir la vidéo du jour!
    Mouloudji, j'adore, on est tout en tendresse aujourdhui ;)

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  6. C’est triste pour les autres mais je me suis toujours dis que je finirais bien avec cette maladie car oublier petit à petit tout ce qu’on a vécu et ce monde pourri doit être un sacrée soulagement pour mourir en paix

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    1. Pitié, Martine ! : Alzheimer c'est que tu ne saches plus qui est Zorba, Miguel, Rodolphe, Rémichhh... ni qui a peint les tableaux signés M art'IN, etc.!
      C'est pas DU TOUT un sacré soulagement "petit à petit" c'est pas mourir en paix mais en inconscient et ou folie furieuse...
      L'image du "doux alzheimer" pour oublier les misères du monde, c'est de la pub genre "dents blanches haleine fraîche" !

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    2. C’était pour rigoler Rémichhh ! A l’Africaine .... On rigole pas beaucoup ces temps
      Mais c’est vrai que je préfère ça, plutôt que me faire tuer jeune et jeter dans un charnier en Ukraine ou en Palestine après que l’on m’ait arraché les reins ou le foie pour faire du trafic d’organes....
      Ceci dis , j’aime beaucoup ton texte émouvant et pleins de tendresses.

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    3. OK! Vive l'humour "à l'africaine" qui m'avait échappé...

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  7. Ayant pu contacter directement le réalisateur J-A Lièvre à son adresse mail, il me répond, depuis Vancouver où il présente son film, ceci, notamment : « tu as compris ma démarche contre toute sorte d'enfermement, le bonheur de sauver sa mère et le pouvoir de la nature ».

    Je signale aussi que l'on peut laisser commentaire sur le blog du film ( voir le 1°lien en bas du texte)...

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  8. Merci Rem pour cette présentation vibrante, merci pour votre sensibilité tellement chargée d'humanité.
    Un peu d'air pour ceux qui s'échappent de leur existence par cette maladie,
    un peu d'espoir pour ceux, souvent démunis, qui tentent de les accompagner de façon digne,
    au prix d'une culpabilité ô combien douloureuse souvent. :)

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    1. Merci Natacha! ... le mot le plus important est bien DIGNITÉ...
      Vers la fin du film, J-A Lièvre dit à peu près : "Je ne sais si maman renoue avec son passé, ni même si elle est heureuse. Mais elle progresse vers cela et, de toute façon mourra dignement"...

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  9. Tout à fait par hasard, je suis tombé sur un long et terrible reportage de Fr.2 sur "Hôpitaux psychiatriques : les abandonnés"... dont tant de malades d'Alzheimer font partie, parmi tant d'autres...
    Je n'ai pas pu copier-coller le lien, j'ai dû le noter et j'espère qu'il n'y a pas d'erreur dans le lien ! :
    https://www.youtube.com/channel/UC4BIEjkyTh8BXuyCdHi33Q

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    1. Ton lien, hélas, Rémi ne conduit nulle part. Mourir dignement, dit-on quelque part et c'est vrai. Mais c'est surtout vivre dignement qui a son prix. Dans les deux cas, on joue le rôle d'accompagnateurs et la chose s'avère lourde à assumer...

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    2. En cherchant sur France 2 j'ai retrouvé le lien, cette fois copié-collé :
      https://www.youtube.com/watch?v=3lMtQtKsWF0

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