lundi 8 septembre 2014

La véritable histoire de Sucevita la vache folle



Lumière M Art' IN
L'ami Jean Firmann, vivant en Helvétie, frontalier sans frontières depuis l'aube des temps, a enjambé la barrière sans autre permis (en a t-il besoin ?!) et volonté que de partager poésie, humour, humeur et beaucoup de plaisir avec les caillasseux de par ici, via Rémi, son grand pote-poète-phoète...
Une pensée ruminante guide les pas de Jean (j'allais dire ses sabots) mais ce serait indélicat de ma part concernant un être aussi finement fou. C'est avec joie que nous mettons les nôtres (de pas) au diapason pour une pêche au bonheur, exclusion faite du pas de l'oie, encore que nous sachions d'expérience que ce merveilleux volatile a été victime d'une affreuse et très injuste manipulation politico-gangreneuse !...
La parole est à Jean, on le lit :

Il s’appelait Avanti Germinal. Il avait un profond chapeau rouge tout musclé qui lui descendait sur la nuque par dedans jusqu’à l’estuaire immense des épaules, jusqu’au plexus des amarres foulantes & refoulantes du sang juteux qui fout la pompe aux cœurs & le grand courant d’air à nos poumons d’osier. Il habitait chambre douze juste sous le cuivre & le plomb noir des toits de l’Hôtel de Strasbourg & Univers, par dessus la ville à portée de miel des abeilles  sidérales. Il habitait dans un coin jamais vu des Pâquis, Avanti Germinal là où le marais vivra mille demains encore toute sa glousse, là où chante Amédée Réglisse la  rainette, la rousse et Ferdinand Freux le crapaud vieux qui enfle à ses tempes quand il chante deux œufs si pâles & presque bleus. Un beau rebelle est là qui sourit comme un bouchon qui va se jeter du flacon vers les crins moutarde et rouges de la  comète. Il a mis son pantalon en peau d’étoffe des Grisons – tchatchader et chantadur. Il a mis son paletot en noix de coco trop chaud. Il a mis de l’abricot, tout à pied nus cherché chemise  ouverte sur son vélo jusqu’à Saxon qui se révolte à la saison. Il a mis de l’abricot sur les lèvres de son amour qui fait tonner ses grands marteaux sur une  enclume bourrée d’étoiles dans le ciel de nuit noir et bleu – dzing et dong – et c’est alors un faux silence, comme un tic-tac de swatch qui réveille derechef & aussitôt les singes jaune-foie ravageurs de Monsieur Calvin  Pimpin, pétrifié par un sculpteur, fesses au mur à quatre réformateurs jouant face au sud, à qui pensera le plus loin, cul au nord et face au sud, les pieds léchés par d’eczémateux petits poissons rouges à taches blanches comme des manipulées vaches rouges ou noires à taches blanches et nageant dans le bassin rectangulaire du parc des Bastions qui se trouve à Genève défendu par une vaste barrière de barres de fer noires hautes de quasi trois mètres à glands d’or, de pilastres enfilés de têtes d’aigles un peu punk et dont la crinière au badigeon a baisé bouche ouverte le feuilleté frémissant de la colle d’œuf et de la feuille d’or. Leurs musiciens ne jouent que du fusil, mélodie démolie, leurs musiciens ne jouent que du  tromblon, démolie mélodie. Ce sont de vieux grenadiers sans peur, ce sont de vieux sapeurs en pantalons tout blancs, l’index sur la gachette de la couture du pyjama flasque de Napoléon levant aussi haut la patte que l’oie dans les défilés, visages d’ivrognes tous tournés d’un raide tour de nuque vers la face glauque du roi, du prince, du comte & du vicomte qui ses six-cent-six sous compte, du ponte, du maître, du contremaître, du double-mètre à ressort, bref du chef & qui n’ont sur le ventre que tabliers de cuir en beurre. Rances de guerre & d’êtres  vivants par eux brutalisés. Femmes & chevaux à la gloire vendue de Dieu jusqu’aux  racines raides & jaunes de la mort.

Lumière M Art' IN
Mais Avanti Germinal ne tartinait pas son pain de ces stupéfiantes pommades, ni sa tresse au beurre de ces barbes-à-papa cruelles-là. Il ne possédait qu’une vache, Avanti Germinal, aux naseaux fumants un peu & d’un rose si tendre nommée  Sucevita la vache blanche. Au mur ému de sa  cuisine, il avait Germinal, sur un chassis sans cadre, la peinture d’un ange en âge bientôt de reprendre par les échelles fumantes le ciel et, devant sa porte, un fin voilier tout sec, sans mât ni toile, debout les dents serrées sur trois tonneaux en pleins vents brûlés du soleil. Dans son larfeuil en demi-cuir de cochon noir, il avait Germinal, la médaille d’un vieux chien aux yeux de paille, une carte de bus et trente-cinq balles. Dans son crapaud en demi-cuir de cochon noir, il avait aussi, Avanti Germinal une photographie de l’hôtel Miramar en construction sur la côte des azurs où s’était crashé, à mes sept ans, mon cerf-volant à la si longue de chanvre ficelle – sur la plage les pavés, sur le sable bétonnés – et devant ce chantier, à l’aube nette & nue d’un  matin de mes sept ans vers cinq heures, un mec sorti en juillet 1954 en titubant d’une traction  Citroën noire qui vomissait debout en smoking, dans une  fontaine pleine d’eau juteuse & claire, une fontaine aux flancs à main d’homme taillés en un granit crème très beau comme une écharpe  saumon  sauvage sur les épaules transparentes d’Ovaldine, comme une histoire  vibrante,  lyrique, un soleil flou, une profonde folie tendre, une foudre soudaine & zébrée du noir ciel juste pour vous par le col raide d’en-haut d’un coup tombée. J’ai pensé badaboum & j’ai téléphoné au tire-bouchon du tonnerre. Il ne m’a pas répondu, il couvait déjà l’autre éclair. A jamais oublié des recenseurs et des comptables, Avanti Germinal. Une vache, la peinture d’un ange et un bateau sec & dur sous la décolle, sous l’abominable colle des avions scotchant au ciel d’horri- bles gerçures qui  grignotent le soleil dont le feu pourtant est à tous, dont les rayons sont à chacun comme la rive ombrée des lacs têtus du monde où la loutre aux pattes  palmées de soie noire effleure la  rivière de perles aux petits graviers qui tintent à grelots & clochettes afin d’articuler enfin l’amande ovale, enfin le baiser pur. Dans les Pâquis, un éboulis et un marais où poussent encore trois arums au blanc calice et au petit doigt jaune qui fusa tout droit vers le soleil. Et puis un jour, dansant en blouses blanches sur la digue dingue & très solide en gros blocs de granit des montagnes aux vallées encaissées suisses du jet d’eau, oui courant en blouses blanches à peine boutonnées sur leur vêtement de gendarmes, sur la digue dingue à Genève du jet d’eau, quatre psychiatres aux tétons mous, quatre tristologues à la langue de parchemin, vinrent annoncer à Germinal que sa vache était folle. Le soir-même Sucevita la vache tiède & toute blanche d’Avanti Germinal fut transplantée en fourgonnette citron chez monsieur le boucher qui lui  dévissa contre signature – avec son tournevis rouge & noir – les cornes, les oreilles et les sabots. Et c’est qu’elles étaient belles les libres hautes cornes de Sucevita aiguisées chaque matin par la levée carabinée du jour. Affûtée rasoir par les frelons ardents de toute démesure. Quand montait la nuit, quand se levait sur ses pattes arrrière le jour. C’est qu’ils étaient beaux, si beaux les sabots de Vénus, roses souples de  Sucevita la vache blanche & toute tiède d’Avanti Germinal quand elle avançait si belle, la tête franche aux cornes vastes marchant l’amble sur les parquets cirés des galeries rouges & or,  longeant les hauts miroirs et les moucharabieh d’onyx & d’ambre. C’est qu’ils étaient souples & forts les grands sabots de cette grande vache quand sous l’averse elle allait l’amble si belle dans la glaise trempée d’eau & le papet des pâturages. C’est qu’elles étaient belles & blondes les oreilles bougeant de soie si douce de Sucevita d’où jaillissaient parfois un arc-en-ciel comme une jeune femme me l’a juré, Nonobstant monsieur le boucher (qu’on disait Nonosse dans le beau monde de 
la thune d’or sertie aux tournesols des ostensoirs), la fit gentiment s’asseoir dans son blanc saloir et lui déchira la vie & la mémoire d’un coup de feu au troisième œil comme font les braconniers dans la brousse immense aux éléphants d’ivoire & de défenses sans  défense que des crapules vendent si cher aujourd’hui toujours sur les pianos barrissants du monde en  sachets de poudre fine d’ivoire & d’ébène que snifferont les paniqués de la terre franche par le ciel si sombre qui tourne. Le lendemain, Sucevita la vache blanche d’Avanti Germinal,  décrétée vache folle par quatre doctorinaires, par quatre brutes conviviales, par quatre tombeurs de nuit sur le monde, fut atrocement dévorée en  public dans des anniversaires d’enfants chez Moc Danald. Depuis le temps de cette sainte horreur, Avanti Germinal est triste comme un fleuve rêvant de houle émeraude & de mer immense sous les ponts de la grande ville où l’ecchymose  violette & dure, rampant en rond sans cesse gonfle. Mais hier, montée de tonnerre! il a décidé désormais, au vu de tous & par dessus tous les ponts de toutes les villes où l’ecchymose violente en tournant gonfle, de se laisser pousser les dents, de se laisser pousser les larmes, de se laisser pousser le cœur.
Avanti Germinal.
Jean Firmann



Sous l'casque d'Erby


6 commentaires:

  1. Bonjour les caillasseux. Du dense, du dru, du fluide bullé, voici une page qui sautille, frétille et vous embarque pour un tour complet options comprises. Merveille d'inventivité !

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  2. Ha ben dis-donc ! Voilà une parution qui me console bien des tracasseries dûes au maxi-bugg de Free...
    J'en connais un, de Jeannot d'Helvétie, qui va être content... même que j'vais l'mett' au parfum, s'il n'est pas un lecteur assidu de notre blog (et connaissant l'oiseau, je crois pouvoir le deviner!)

    Tout à fait autre chose, sur un autre registre, très amer :
    http://www.altermonde-sans-frontiere.com/spip.php?article26743
    C'est le lien vers un très excellent article de la journaliste israélienne Amira Hass, du Haaretz, décapant... :
    "Israël, un €tat de vol à main armée"

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    1. Ce n'est que par distraction que j'ai écrit ci-dessus €tat pour État... mais, finalement, cette petite erreur, ce petit glissement typographique est bien à l'image de la folie furieuse de tout État, qui n'est que... FRIC...
      Entre autres, l'État d'Israël comme l'État confédéral Suisse spéculent sur l'€ la £ le $ et compagnie, en folie furieuse... et nous, nous tous et chacun(e) Avanti Germinal, nous avons mieux, la douce folie d'aimer sa "vache sacrée", à soi et à tous, gratos !
      Vive la poésie sauvage, à bas la barbarie "civilisée"...

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  3. Nous vous quittons l'espace d'une réunion de l'Artche des sens qui doit se tenir tantôt à Saint-Brieuc. En attendant, n'hésitez pas à commenter ce merveilleux morceau de poésie.
    A toute.

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  4. "Tête en l'air" de Jacques Higelin, c'est la zique parfaite pour accompagner cette belle logorrhée... Je m'en suis aperçu lorsque soudain, pour me faire dégueuler mon casse-croûte de midi, ma radio m'a dégoisé du BHL, si !... Un saut pour couper la chique à ce malotru... et un saut pour brancher le pote Jacques-le-déjanté, et 2 fois de suite...
    et le casse-croûte m'est devenu festin : elle est pas belle la vie ? Suffit de se choisir son compagnon ou compagne au Bon moment!

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  5. Quelle écriture riche et imagée ! à couper le souffle !

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