lundi 23 juin 2014

Vous prendrez bien un p’tit coup de Françafrique pour la route ?

Énième avatar des rapports coloniaux qui lient la France au continent frère, la sortie imminente d’un livre d’entretiens de Laurent Gbagbo dont la presse donne un avant-goût en diffusant quelques extraits qui ne manqueront pas de provoquer des réactions, aussi inavouables qu’à l’ordinaire.
Sans être le dieu débonnaire que ses partisans adulent, pas plus que l’être luciférien que la Cour pénale internationale (modèle caricatural de la bonne conscience coloniale) va juger à la Haye (deux votes pour, un contre), Laurent Gbagbo livre une version personnelle des faits qui l’ont conduit sur le sentier de l’opprobre et à revenir sur les relations très spéciales entre la France (toutes couleurs politiques confondues) et les anciennes colonies africaines.

Extraits :

Sur Chirac
Je ne suis pas fier de cet épisode, mais je pensais y gagner la marge de manœuvre nécessaire pour avancer vers nos objectifs. On me l'a reproché en disant que c'était la preuve de mon double langage, que je m'appuyais sur le néocolonialisme pour le critiquer. Comme si on pouvait toujours répondre à des partenaires aussi puissants, sans employer la ruse et la diplomatie. On m'a mis dès le début en situation de crise et d'urgence permanentes. Au moins, ils ne sont jamais revenus à la charge. Je n'aurais pas accepté. Ils le savaient. Cela n'a pas amélioré nos relations. Plus tard, Chirac a dit que je l'avais "manqué" [...].
Les 18 et 19 septembre 2002, j'étais en voyage officiel à Rome. À peine arrivé, qui je vois, à l'hôtel ? Robert Bourgi. Bien sûr, j'ai trouvé la coïncidence curieuse et, pour tout dire, ça ne pouvait pas en être une. Nous avons dîné ensemble. [...] Je suis rentré à l'hôtel. Vers 3 ou 4 heures du matin - il était 2 heures à Abidjan -, j'ai été informé par un coup de fil de l'attaque militaire massive déclenchée dans tout le pays. Je décide de rentrer immédiatement. Robert Bourgi apparaît à ce moment et insiste : "Passe à Paris voir ton grand frère [Chirac] !" Sur le moment, j'ai pensé à tous ces chefs d'État, en Afrique, qui étaient partis en voyage et n'avaient jamais pu rentrer. [...] Je ne suis pas allé à Paris, voir Chirac. Je suis rentré à Abidjan.

Sur Villepin
Je suis arrivé le jeudi 23 janvier 2003, par un vol régulier d'Air France : je craignais qu'on tire sur mon avion présidentiel. Tout est toujours possible. Je devais voir Chirac le lendemain à 16 heures à l'Élysée. Le matin de ce fameux vendredi, on m'a glissé sous la porte de ma chambre, à l'hôtel Meurice, le texte des accords de Marcoussis. Bongo était descendu dans le même hôtel, pour me travailler au corps. C'était un ami de Ouattara, et le plus fidèle allié de la France depuis la disparition d'Houphouët. À 11 heures, je suis parti pour l'Élysée, Le Monde était déjà paru. Je l'ai lu dans la voiture, j'ai découvert qu'ils y donnaient déjà, en page 2, le nom du futur Premier ministre, une proche de Ouattara, membre de son parti, le RDR, Henriette Diabaté. Quand nous avons été ensemble, Chirac, Galouzeau et moi, Chirac me dit qu'il tient à ce que Henriette Diabaté soit Premier ministre. Merci, je l'avais déjà lu dans le journal ! C'est exactement ça, la Françafrique. J'ai refusé de signer. [...] Villepin m'a ainsi clairement signifié le peu de respect qu'il avait pour moi et pour ma fonction. Villepin, Soro et Ouattara ont repris en choeur la rengaine Henriette Diabaté. On aurait dit une chorale qui avait répété ensemble son concert. J'ai dit à Villepin : "Vous n'écoutez donc même pas votre président ?" Il semblait se prendre un peu pour Jacques Foccart, un peu pour Jacques Chirac, et je me demande s'il ne se croyait pas supérieur aux deux, en se prenant pour Dominique de Villepin.

Une bavure française 
[À propos du bombardement par l'aviation ivoirienne d'une base militaire française à Bouaké en novembre 2004, qui a fait 9 morts.] La sécurité militaire ne lâchait pas les pilotes d'une semelle, ni le jour ni la nuit. Elle savait combien de bières ils buvaient, où ils sortaient, à quelle heure et avec quelles filles ils rentraient. Des militaires français les côtoyaient, dans les boîtes de nuit, dans les "maquis" d'Abidjan. Les deux pilotes avaient été filmés et photographiés par les Français au retour de leur mission de bombarde. [...] Le ministre de l'Intérieur du Togo, François Boko, les fait arrêter. Il les garde dix jours. Il appelle l'ambassade de France, le ministère des Affaires étrangères à Paris, le ministère de la Justice, pour dire : "Nous les tenons à votre disposition." Le président Eyadema, qui était très servile vis-à-vis de la France, parce qu'il avait besoin de son aide et de celle de l'Europe, était prêt à tout pour faire plaisir à Chirac. Eh bien ! La France n'en a pas voulu !... Cela prouve bien qu'il s'agit d'une bavure française, et non d'une bavure ivoirienne. Mon explication, c'est qu'il y avait une filière parallèle.

Hollande, le lâcheur, et Sarkozy, l'arrogant
François Hollande, il venait me voir à mon hôtel chaque fois que j'étais à Paris. Je n'en ai jamais rien attendu, et je n'en attends rien. Les avocats de Ouattara ici, à La Haye, sont ses amis intimes, Jean-Paul Benoit et Jean-Pierre Mignard. Ouattara ne les a certainement pas choisis au hasard. Il sait ce que lobbying veut dire... Les socialistes français ont un complexe... Ils veulent faire croire qu'ils gouvernent comme la droite. Au début des années 2000, Villepin les a tous manipulés, en leur disant le monstre que j'étais... Ils ont eu peur d'être éclaboussés, ils m'ont lâché. [...] Sarkozy, c'est autre chose. Je l'ai rencontré pour la première fois à New York, à l'ONU, en 2007. C'est Robert Bourgi qui m'avait suggéré de faire le déplacement, pour voir le nouveau président, après tous les problèmes que j'avais eus avec Chirac. Je n'avais donc aucun a priori négatif. Il a quitté l'aire réservée aux cinq membres du Conseil de sécurité dès qu'il m'a vu, et il est venu me serrer la main. "Président, ces élections, vous les faites quand ?" [...] La discussion s'est arrêtée là. Chez lui, à la place des idées, il y a l'arrogance.


Sous l'casque d'Erby

  

7 commentaires:

  1. Bonjour les caillasseux. Brume de chaleur à l'horizon. Un peu de retard à l'allumage en ce lundi mais tout arrive à qui sait attendre.

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    1. Excellent billet d'actualité,,, et comme une préface à mon billet plus général, de géo-histoire de l'Impérialisme Français, que je t'envoie, lediazec, tout à l'heure : j'en suis aux finitions !

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  2. Salut caillasseux ! J'aime assez la franchise de Gbagbo, cela correspond à l'idée que je me faisais de lui. De même que pour Ouattara, qui est depuis toujours un peu plus bas que bas dans mon estime. Bien entendu, "ce pelé, ce galeux" de Gbagbo n'est pas près de se retrouver libre, et il le sait. La seule différence entre la fange de la Françafrique et celle de Ouah Ouah shington, c'est que la seconde sent généralement bien plus le pétrole, alors que la première a une préférence pour la pechblende, plus efficace pour les bronzages durables.....

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  3. la caillasse molle marshmallow du gaucho....je te recommande le blog de Chriss alphabéta !
    http://2chriss.wordpress.com/2014/06/23/meilleure-reponse-pakunta/

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    1. Merci pour le compliment. Je tire la chasse d'eau !

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  4. Je replace ceci à ce billet magnifique : terres http://www.wikistrike.com/2014/06/video-qui-se-cache-derriere-la-cpi.html
    Je n’ai pas grandi à Bouaké avec mes frères ivoiriens, pour ne pas dénoncer les humains qui se comportent mal avec les autres.

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