lundi 13 janvier 2014

École Buissonnière

Yin et Yang - M Art' IN
Je dois à M' Art 'In l'inspiration de ce billet, via un échange de commentaires entre elle et moi, au bas du billet du 6 janvier 2013 sur l'Anarchie. Merci, ô Muse ! Tu m'as entraîné à remuer de bien anciens souvenirs qui peuvent être utiles à la génération de mes petits-enfants, voire à leurs pédagogues éclairés... ! ou à bien d'autres, comme toi, lecteur ? -  



Bruits, musiques, langues, jeux, amitiés : mon école buissonnière est celle d'oser la Liberté...
Je ne sais ce que serait la meilleure des écoles libertaires idéale, si indispensable aux enfants. Pour un monde nouveau sans chef ni dogme, sans esprit de compétition du tous contre tous ni apprentissage de la soumission au plus fort, à ''LA'' Loi...
Cette saine éducation, bien des pédagogues anti-autoritaires l'ont expérimenté, utilement, en généreux et courageux aventuriers. Toujours dans un contexte difficile, limité par les carcans et tabous en usage, si dogmatiques. Usages si ignorants de la puissance créatrice de l'enfance, pivot de chaque vie individuelle en croissance, premier pivot d'une société libre. Voici seulement un aperçu de mon vécu en la matière.
La meilleure école de ma vie fut buissonnière. Elle commença vers 1944-45, par les seules et rares leçons de piano de ma vie, dont il ne me reste rien. J'avais 5 ou 6 ans et vivais en basse-Égypte : à Port-Fouad, face à Port-Saïd, rive orientale du canal de Suez. A plus de 3000 km de l'Europe en guerre. Nous n'en avions que prolongements : alertes nocturnes, bombardements. Dont j'entends encore le vacarme de terreur, le bruit fou, anti-musical...
J'allais à la ''petite école des frères de Ploërmel'' en lisière désertique de la ville et, non loin, une vieille fille acariâtre tentait de m'apprendre le piano, sur prescription paternelle d'ancien joueur de violon resté très mélomane... Cette bonne éducation précoce tourna court : pour préserver l'ivoire des touches de piano, ma brutale prof brossait jusqu'au sang mes mains tachées d'encre, à la brosse et à la pierre-ponce : une torture à fuir... après qu'elle même m'eut une fois ''libéré'' : je tachais son piano de mon sang !
C'est ainsi que je découvrais ''l'école buissonnière'', que j'y pris goût au point de la pratiquer à peu près toute ma vie, aujourd'hui compris ! : Vive le hasard de l'aventure au lieu de subir des tortures jusqu'au sang...
J'ai souvenir d'être aller pleurer dans la dune à buissons, toute proche de son maudit piano. En me calmant, j'ai dû sans doute me consoler à entendre puis à écouter le bruit du vent du désert, celui qui fait parfois ''chanter'' les dunes...
Puis je revins à la maison, mais via un ''chemin de traverse'' inconnu, dû à la saine curiosité - dite enfantine mais à cultiver toute la vie. Ce chemin incongru traversait ''la ville arabe'', ses gens, musiques, bruits et odeurs : enchantement pour un gosse n'ayant connu que le mini quartier ''européen'', entre domicile, plage, église, école, atelier de piano !
Bien entendu, les Égyptiens me firent bon accueil. Sourires, jeux, parlottes d'entre gamins polyglottes, du moins inventifs d'un sabir local spécial, avec mots arabes, français et de toute langue méditerranéenne usitée alors...
Bien sûr, j'ai gardé cette escapade secrète. La renouvelais à chaque ''leçon de piano'' que je séchais. Mieux vaut l'aventure, quitte à garder les taches d'encre, que de saigner des doigts, à cause d'une tortionnaire !...
Très vite le virus ''école buissonnière'' prit. Je séchais de plus en plus la petite école, entraînant parfois d'autres écoliers, très discrètement...
Mon père, allant régler la vieille, avait deviné mes escapades. D'autant que ''les bons frères'' (et mauvais pédagogues) se plaignaient de mon absentéisme. Il crut trouver un jour la parade, en me payant des cours particuliers de français... car j'employais à la maison du jargon ''petit nègre'' (disait-il). Las ! : mon prof devint vite un ami charmant. C'était un jeune homme, italien très francophone, certes, mais aux mœurs assez libertaires. Et, très féru de poésie, je lui dois d'avoir (vers 7 ans) abordé le ''continent Rimbaud'' que je fréquente toujours. Il était réfugié en Égypte pour avoir fui l'enrôlement dans l'armée de Mussolini et avait été très surveillé par l'armée Britannique. Les cours de ce grand ami Tonio prirent fin de façon bizarre, hélas. Il m'avait emmené manger des glaces dans un café, content de son bon jeune ami. Et fut dénoncé par un imbécile ami de mon père, au soupçon de pédophilie !!
Plus tard, cette fois en 6° puis 5°, à Ismaïlia, j'améliorais l'école buissonnière. J'avais déjà pratiqué le curieux football qui consiste à se disputer une boîte de conserve vide, le gagnant étant celui qui arrive à mettre ''la balle'' tout au bout du terrain vague. Mais cette fois, c'était une balle de tennis défoncée et quelques règles dont je ne me souviens pas. Mais me souviens de l'amitié très grande qui se noua ainsi entre deux ''champions'', Mahmoud et moi. Cela se termina par une tragédie qui domine ma vie. Le 26 janvier 1952 (cf. note), après un jour et une nuit de couvre-feu, j'allais voir par curiosité le centre d'Ismaïlia. Il y avait, place Champollion, alignement de cadavres et parmi eux un petit corps, celui de... Mahmoud ! - J'en reste aujourd'hui amer et révolté...
Les conséquences de cette mort épouvantable me furent vraiment énormes. Il me revenait que j'avais joué aussi, 1946/47, avec des gosses Palestiniens dans les ruelles d'Haïfa, ignorant du drame en préparation, mais pas de l'école buissonnière, excellente pour ma cure de santé en Palestine !
Je gardais le drame de la mort de Mahmoud secret, sinon auprès d'un vieil arabo-soudanais, qui essaya de me consoler et que j'appelais gran'papa. Je devins mélancolique, rebelle à tout excès de tutelle pédagogique, familiale ou religieuse. Souvent solitaire, je me mis à lire les journaux, à me politiser : d'abord a être nassérien, ce qu'aurait été Mahmoud. Dont je me construisais un imaginaire poétique idéal, que je porte toujours.
Je devins cancre à l'école... et mon père, très alarmé, cru bon de m'envoyer à mes 15 ans, en octobre 53, en triste pension en France. C'était l’exil. Mais, un an plus tard à Amiens je me fis un nouvel ami, lui aussi exilé par son père, le vietnamien Phan ! Nous allions ensemble au lycée laïc, découvrions les espiègles lycéennes à qui adresser nos premiers poèmes, avant de rentrer à la pension tenue par des curés. Sévères sinon le Supérieur, qui protégeait ses deux ''oiseaux exotiques'', leur donnant des cours ''assez particuliers'', à la limite d'une pédophilie contenue, cours de mathématique et de poésie ! Il me souvient par exemple que, sur ces genoux, il me fit découvrir une édition de luxe des ''Fleurs du Mal'' ornée de photos très suggestives de muses dénudées... Et je repense à lui lorsque je pense à Lewis Carroll, lui aussi féru de poésie, mathématique, photographie, lui aussi pédophile contenu, génial créateur de ''La Chasse au Snark'' et de ''Alice''...
Anecdote révélatrice, pour clore Amiens : Je dois au Sahara d'avoir obtenu le seul ''diplôme'' de ma scolarité, par oral de rattrapage au BEPC. Étant tombé sur cette question d'histoire-géo, je tins en haleine mes examinateurs bien au delà du temps imparti, par mon improvisation sur ce sujet, si vécu pour moi, ''l'Égyptien''... : J'eus 20/20 !... Et à défaut de ''bac'' pour relier les rives d'un canal de Suez ou d'un fleuve Loire, l'école buissonnière m'a donné des ponts – ou des ailes ! - pour relier les continents. Non seulement physiques mais autres, comme les continents Poésie et Sciences, le politique et la politique... et les deux démerdes-de-survie - individuelle et collective -.
1951 collège de Lesseps d'Ismaïlia

Le n°9 c'est moi, le n°5 c'est Claude François, le n°28 c'est Vasco :
nous avons fait ensemble des écoles buissonnières, dont une expédition
nocturne d'« attaque » de copines en camp de « guides » !
Plus le pessimisme de l'intelligence et l'optimisme du cœur, bref l'ESPOIR. Après Port-Fouad, Ismaïlia, Amiens, avec quelques hauts et plus encore de bas, j'ai continué de bricoler ma vie avec l'étoile de l'espoir, via d'innombrables buissons plein d'épines et de fleurs. En faire 2.000 pages ?. Bon, restons-en ensemble à l'espoir d'arriver à une école libertaire qui est indispensable pour un avenir digne d'une humanité retrouvée, après la cruelle parenthèse de l'ère capitaliste en décrépitude... A CLORE !

Note - Comme un marteau pilon écrasant des mouches, l'armée britannique d'occupation (en zone du canal) avait bombardé la nuit du 25 au 26 janvier 52 des quartiers arabes d'Ismaïlia en représailles à la mort de quelques Anglais par des ''Fedayins Égyptiens'' : A 3 ans de la ''Nakba'', cette Catastrophe arabe pour les Palestiniens et l'armée nationale d'Égypte (etc.), l'agitation populaire dénonçait à juste titre le traître rôle de l'armée anglaise d'occupation, en principe ''neutre'' et de fait favorisant l'offensive sioniste qui créa Israël en 48. Dès 48, j'avais déjà assisté à Port-Fouad à de monstres manifestations de colères. En 51, liés à la Résistance Palestinienne, les radicalisations avaient abouti à ces actions d'escarmouches contre des bases britanniques... et dès le lendemain de ce massacre du 25-26 janvier, tout le peuple d'Égypte commençait sa révolution, renversant Farouk et mettant Nasser au pouvoir en juillet 52. D'où la suite tumultueuse de guerres, révolutions, toujours liée à la chère Sœur Palestine arabe voisine, directement ou pas. 


Sous l'casque d'Erby

Grande lessive de nouvel an !...

 

8 commentaires:

  1. Une étrange nostalgie par procuration, je ne savais pas que c'était possible... Un moment d'éspoir. Nous ferons bien plus de deux mille pages dorées dés que nous aurons clos la parenthèse indigne !

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  2. Bonjour les caillasseux. Temps désopilants !
    La bonne éducation. Les bonnes manières. Oui, mais lesquelles ? Certainement pas celles de l'Etat et des religions. La vie est un long chemin d'apprentissage, pour peu que nous y mettions du nôtre, sûrement celui qui nous rapproche le plus de l'infini, puisqu'il ne cesse qu'avec notre mort... Tout faire pour ne pas franchir le seuil des doctrines, nous débarrasser de leurs influences, briser les chaînes telle doit être la préoccupation de tout homme libre...
    Ce n'est pas gagné !

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    1. C'est pas gagné... mais c'est pas perdu !! Avanti Populi ...
      Merci l'ami de ta mise en page soignée (dès le ying-yang de m ART 'In ). Tu n'y es pour rien, mais la veille photo carte postale censée représenter Ismaïlia est une erreur manifeste. Le verso indique bien la proximité de Port-Saïd et le site du lac (amer) Timsah, que traverse le canal. Mais ces 2 villes sont des villes nouvelles, nées du percement du canal, en zones très plates (0,5m pour Port-Saïd!) et il y a à Ismaïlia une seule petite colline, sur un éperon rocheux - où est un hôpital moderne. Je suppose que la photo se situe plutôt à Suez, la seule ville ancienne, d'ailleurs très ancienne de la région. Où ailleurs : Il y a un autre Ismaïlia, que j'ignore, située je crois au Soudan ou près du Soudan...
      Bof, c'est pas grave, je vais essayer de trouver une photo correcte !
      Le Erby du jour est pile raccord avec l'article, chapeau l'artiste !!

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  3. Chez Jean-Jacques ce n'est pas mal du tout et ça colle avec le sujet. Que demander de mieux ?
    par les temps qui courent

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  4. Tu me fais rire avec ta sadique prof de musique. Je te savais mélomane mais je ne comprenais pas pourquoi tu ne sifflotais jamais de musique...Maintenant tout est clair....Quel horreur
    J’ai bien voyagé dans l’espace et le temps , Merci l’artiste !
    Quelle tête à claque ce cloclo !!!!

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    1. M art IN - Il y a une autre raison, technique, pour laquelle je ne sifflote plus. J'ai dans la mâchoire supérieure une incisive centrale cassée qui a bien gêné à pouvoir siffler comme avant. Et elle a été cassée par le plumier en bois que m'a envoyé Cloclo dans la gueule, lors d'une dispute quelconque, sans doute en 54 !...
      Mais rassures-toi, il m'arrive de chanter, soit en chœur, soit en solo. Et j'aime en particulier "ô Old Man River" avec une voix de basse à l'imitation de Paul Robeson "le grand!"...

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    2. Ouf sauvé grâce à l’école buissonnière !!!!!

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  5. OK merci lediazec : j'aurais été infoutu de faire ce changement d'image de fin de billet !
    Cette photo date donc d'environ 6 mois avant le drame de la Place Champollion. J'étais encore un élève modèle, avec escapades diverses. Dont celle avec Claude François et notre "chef" Vasco-le-Yougo, pour taquiner sœurs et leurs copines (plus que les nôtres) en camp de "jeannettes", même pas "guides", d'ailleurs. Mais, après ce drame, là, je devins vite cancre... et m'éloignais du pote François, qu'ensuite je n'ai pu gober dans sa fulgurante carrière : j'en reste à nos belles chansons pré-ado de l'époque, et je reconnais qu'il avait déjà du talent !

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